Pour s’être ouvertement opposé au péril de sa vie à l’exploitation du pétrole au parc des Virunga par la multinationale britannique SOCO, Rodrigue Mugaruka Katembo, un ancien garde-parc a reçu, ce lundi 24 avril, le prix Goldman Prize pour l’environnement, édition 2017, lors d’une cérémonie organisée par la Fondation Goldman a San Francisco aux Etats-Unis d’Amérique.
Rodrigue Mugaruka Katembo est récompensé en reconnaissance de son héroïsme face à son opposition à l’exploitation du pétrole dans le parc des Virunga, à travers une dangereuse enquête sous-couvert qui a exposé la corruption et les pots de vin reçus par les autorités congolaises de la part de Soco. Mais aussi, Rodrigue est passé par des tortures et une tentative d’assassinat.
Un visage calme et serein, une taille moyenne et toujours le sourire au rendez-vous, on a du mal à imaginer ce que cet homme, au milieu de sa quarantaine, a pu traverser tout le long de sa vie. Pourtant, à cause de la souffrance, la torture et au péril de sa vie, il vient de recevoir le prix de l’environnement Goldman Prize pour s’être opposé à l’exploitation du pétrole dans le parc des Virunga. InfoCongo a ainsi eu honneur d’entendre l’histoire de Rodrigue Mugaruka Katembo de sa propre bouche. les détails dans les lignes qui suivent.
Tout commence en 2010, lors d’une ronde routinière dans le secteur Centre, à la station de la Rwindi, du parc Virunga dont Rodrigue est en charge. Avec ses hommes, il tombe sur des ingénieurs de l’entreprise SOCO en inspection pour entreprendre les travaux de forage de pétrole dans le parc. Après les avoir interpellés, les ingénieurs lui montrent une autorisation de forage délivrée par les autorités étatiques.
Sauf que ces autorisations, bien que portant le sceau officiel, sont illégales au regard de la loi sur la préservation des aires protégées au niveau tant national qu’international. Voyant son opposition visible, les ingénieurs de Socco tente de soudoyer Rodrigue en lui proposant de l’argent, une somme de 10.000 $US à lui verser mensuellement.
Rodrigue ne refuse pas directement la proposition de Socco, par contre, il retourne faire rapport auprès du Directeur de Parc des Virunga, Emmanuel De Merode. Ce dernier a l’idée de contacter un metteur en scène qui équipe Rodrigue d’une camera cachée miniature. « Nous nous sommes rendus compte que nous n’étions rien face aux moyens financiers que Soco mettait en jeu pour corrompre les autorités du pays, les services de sécurité et même certains officiers haut-placés dans l’armée régulière. Alors, à moins d’être des stratèges, nous avions compris que nous allions perdre cette bataille », explique-t-il.
Grace à une petite formation sur l’utilisation des cameras et la récolte des données, Rodrigue porta une camera cachée qui lui a permis de documenter ces exactions et recueillir des images des tentatives de corruption par Soco qui a apporté a Rodrigue un sac plein d’argent. « il y a eu plusieurs rencontres entre Soco et moi, et pendant ces rencontres, Soco me proposait des pots de vin pour agir contre la loi qui assure la protection des parcs nationaux. Ce qui voulait dire, autoriser clandestinement que les équipes de Soco entrent dans le parc, font du forage et exploitent du pétrole dans le parc. Ce, au mépris des instructions que je devrais recevoir de mon échelon direct de commandement. Dans ces vidéos, on peut voir les responsables de Soco me remettre directement l’argent pour me corrompre et aussi m’instruire, en échange de violer la loi en vigueur sur la préservation de la nature, détaille Rodrigue Mugaruka Katembo.
Entre 2012 et 2013, Rodrigue a pu filmer en secret les activités de Soco dans le parc des Virunga tout en prenant et en y connaissant les y risques afférents. Les extraits de ces vidéos sont d’ailleurs diffusés dans le Virunga sorti en 2015 sur Netflix.
Le calvaire de Rodrigue pour le respect de la loi
Mais c’est loin d’être la fin de l’histoire car cela ne fait que commencer. Rodrigue et son équipe tombe encore une fois, en 2013, sur les ingénieurs de Soco en train d’ériger une antenne de communication à l’intérieur du Parc des Virunga. Une violation pure et simple de la loi. Rodrigue s’y oppose avec ses hommes et chasse les ingénieurs en dehors du parc, au nom de la loi en vigueur.
Sauf que le directeur technique de secteur de l’ICCN, le chef du chef de Rodrigue, est corrompu par Soco, qui, voyant la résistance de Rodrigue se laisser corrompre, s’est rabattu sur lui pour exploiter coute que coute le pétrole dans ce parc. Pour un montant plus que conséquent, le DTS a fait appel aux éléments de l’armée régulière pour arrêter et faire torturer Rodrigue.
Pendant près d’une semaine en septembre 2013, Rodrigue et ses hommes ont subi des tortures attachés á un arbre. Le frère cadet de Rodrigue, alors âge de 17 ans à l’époque, n’ayant pas de nouvelles de son frère, partit a sa recherche. Il le trouvât attaché à un arbre sanguinolent et soumis aux pires souffrances. Malheureusement pour lui, il fut aussi soumis au même traitement que Rodrigue.
A la suite de ces tortures, les militaires qui retenaient Rodrigue en captivité ne savaient plus quoi faire de lui. Ils l’emmenèrent au domicile du DTS, qui leur ordonna de le tuer et de jeter son corps vers les territoires contrôlés par les groupes rebelles qui pullulent dans la région de l’est de la RDC.
Pour la petite histoire, l’idée était de faire croire qu’après avoir retrouvé son corps, le DTS raconterait qu’il a été tué par les FARDC car c’était un traitre qui vendait les informations aux rebelles rwandais pour tuer les gardes-parcs de Virunga et permettre aux rebelles d’exploiter en toute sérénité le bois dans le parc et de faire du braconnage. « Ils avaient pris deux femmes d’origine rwandaises qui devraient donner le témoignage de ma traitrise et confirmer que c’est à elles que je vendais les informations et elles transmettaient aux rebelles« , raconte Rodrigue.
Rodrigue échappe de justesse à une mort certaine
Mais la providence était sur Rodrigue. En route pour accomplir cette sale besogne, le plus haut gradé de l’armée eut l’idée d’informer le chef d’antenne de Goma de l’agence nationale des renseignements (ANR). Ce, pour la simple raison que , selon la pratique courante, l’ANR doit être tenue informée de ce genre d’acte surtout lorsque cela implique des agents de la fonction publique, qu’est Rodrigue Katembo jusqu’a ce jour, rattachée à l’ICCN.
Le chef d’antenne, un vieil ami de Rodrigue, demande au chef de l’emmener à Goma pour le mettre dans leur prison en attendant son exécution. Ce qui fut fait. Encore une fois, Rodrigue fut torturé dans les geôles de l’ANR à Goma pendant une semaine de plus.
Entre-temps, son petit-frère, ayant été relâché ainsi que d’autres gardes-parcs compagnons de Rodrigue, est allé demander l’intervention d’une personnalité du Nord-Kivu pour rechercher son grand-frère, car il n’avait aucune nouvelle. Cette personnalité a eu l’idée de se rendre aux geôles de l’ANR et trouva Rodrigue. Il plaida en sa faveur.
Rodrigue Mugaruka fut ainsi libéré par l’ANR avec ordre de ne pas quitter les limites de la ville de Goma et de se rendre tous les matins au bureau de l’ANR pointer sa présence. Mais, dès sa sortie en octobre 2013, il retourna à ses fonctions au parc des Virunga.
C’est la tentative d’assassinat d’Emmanuel de Mérode, directeur du parc des Virunga lors d’une embuscade en avril 2014 qui décida Rodrigue de se cacher pour préserver sa vie et celle de sa famille pendant un moment, et enfin, d’accepter une mutation comme chef du parc d’Upemba dans le Katanga.
Tentatives de Socco et crimes environnementaux
Durant la période qu’ont duré les tentatives de Socco de forer su pétrole dans le parc des Virunga, de 2010 à 2015, plusieurs crimes environnementaux et pertes en vies humaines se sont commis. Ainsi, cette période est celle ou il y a eu le plus grand nombre de perte en vies humaines des gardes-parcs, attaqués par des rebelles.
« Soco faisait passer des campagnes a Nyakakoma et Vitshumbi (deux stations de peche) et au long du lac Edouard aupres de la population, en leur disant qu’il massivement detruire la faune pour que le parc soit depeuplé. Pour ce, Soco, utilisait des officiers de l’armee congolaise et diligentait des missions de braconnage dans le parc. Ces soldats aont abbattu, sur ordre de Soco, une dizaine d’elephants au niveau de Nyakakoma et meme des lions sont morts », explqiue-t-il. L’objectif de Soco etait de dépeupler le parc et le faire déclasser comme patrimoine mondial de l’Unesco. Ainsi, il pourrait devenir un territoire exploitable en ressources naturelles.
En outre, les opérations sismiques menées par Soco sur le Lac Edouard ont détruit les frayeurs sur le lac, dans la province du Nord-Kivu, avec eux, les zones de reproduction des poissons et des hippopotames dans le lac. Cela a eu plus de conséquences au nord du lac vers la rivière Lubiliya vers Kasindi-port. « Vers Nyakakoma (NDLR: un point de pêche sur le lac Edouard), on a retrouvé des poisons morts sur la surface du lac », renseigne Rodrigue.
Aussi, le taux de braconnage envers les gorilles a augmenté dans le parc. Il existerait même des preuves que Soco avait posé des explosifs dans le lac Edouard et fait tuer des hippopotame et des poissons. L’objectif était de faire perdre au parc des Virunga sa valeur de conservation afin de justifier l’exploitation de ses ressources naturelles.
A Upemba, Rodrigue continue sa lutte
Rodrigue exerce actuellement au parc d’Upemba, dans la province minière du Katanga. Il continue sa lutte pour la préservation de l’environnement., cette fois-ci, contre les entreprises minières qui projettent d’exploiter les richesses naturelles enfouies à l’intérieur de la superficie du parc de l’Upemba. Rien d’étonnant vu que toute la province du Katanga regorge des richesses minières de haute valeur.
Mais ce parc, d’une superficie de 11.730 kilomètres carrés plus grande que le Virunga, est le dernier territoire, en RDC, ou l’on peut trouver des zèbres à l’état sauvage ainsi que la plus quantité d’éléphants de savane, qui, eux aussi, sont menacés par le braconnage. Rodrigue espère donc trouver des financements, grâce a sa renommée à l’issu du prix Goldman Prize, pour mieux préserver cette faune et cette flore.
Rodrigue espère que ce prix va réveiller les consciences de la communauté internationale et de la population locale face aux tentatives de Soco, car la bataille contre ce géant n’est pas encore terminée. Bien qu’ayant reconnu son retrait du parc des Virunga dans un communiqué de presse publié en 2015, Soco n’a montré aucun document officiel prouvant cette volonté. « Nous devons avoir une vigilance accrue face aux actions de Socco sur les tentatives d’exploitation de pétrole dans le parc des Virunga, ce, a travers, l’obtention des autorisations octroyées par l’Etat congolais de manière frauduleuse et corrompue », interpelle-t-il.
Le prix Goldman de l’environnement 2017
Le prix Goldman de l’environnement (Goldman Environmental Prize) rend hommage aux individus se battant pour remporter des victoires environnementales dans des situations difficiles et inspire des citoyens ordinaires à entreprendre des actions extraordinaires pour protéger les ressources naturelles mondiales. Le prix Goldman de l’environnement a été créé en 1989 par Richard N. Goldman et sa femme Rhoda H. Goldman, philanthropes et défenseurs des droits civiques.
Cette année les récipiendaires du prix Goldman sont :
RODRIGUE MUGARUKA KATEMBO, République démocratique du Congo
Au risque de sa vie, Rodrigue Katembo a mené une enquête clandestine pour documenter et diffuser des informations sur la corruption et les pots-de-vin caractéristiques autour des tentatives de forage pétrolier dans le Parc national des Virunga. Un tollé général a forcé l’entreprise concernée à se retirer du projet.
PRAFULLA SAMANTARA, Inde
Un leader emblématique des mouvements pour la justice sociale en Inde, Prafulla Samantara a mené une lutte juridique historique de 12 ans pour faire avancer les droits des autochtones Dongria Kondh sur leurs terres et il a protégé les collines Niyamgiri d’une immense mine de bauxite à ciel ouvert.
UROS MACERL, Slovénie
Uroš Macerl, un agriculteur biologique slovène, a réussi à empêcher un four à ciment d’incinérer du coke de pétrole produisant des déchets industriels toxiques en motivant d’autres militants à apporter leur soutien dans le processus judiciaire et en tirant parti de son statut de simple citoyen autorisé à remettre en question les autorisations accordées à l’usine.
WENDY BOWMAN, Australie
En pleine croissance de l’exploitation du charbon en Australie, l’octogénaire Wendy Bowman a empêché une puissante multinationale minière de s’approprier sa ferme familiale et a protégé sa communauté dans la vallée de Hunter d’une exacerbation de la pollution et de la destruction de l’environnement.
MARK! LOPEZ, États-Unis
Né et élevé au sein d’une famille de militants, mark! Lopez a persuadé l’État de Californie d’offrir des tests de plombémie approfondis et des services de décontamination à des logements situés dans l’est de Los Angeles qui avaient été contaminés par une fonderie source de pollution dans la communauté depuis plus de trente ans.
RODRIGO TOT, Guatemala
Leader autochtone à Agua Caliente, au Guatemala, Rodrigo Tot a permis à sa communauté de bénéficier d’un jugement exceptionnel qui a ordonné au gouvernement de remettre des titres fonciers au peuple Q’eqchi et il a empêché les mines de nickel qui détruisent l’environnement de s’implanter dans sa communauté.
Related posts
-
RD Congo-Paysage Virunga : Bilan mitigé de conservation en 2018
-
Le projet de transfert de gorilles de la RDC au Zimbabwe provoque l’inquiétude
-
Parc national de la Salonga, un sanctuaire de biodiversité