Au moins 150 personnes sont mortes dans des trous d’or abandonnés qui déciment les forêts du Cameroun. Madeleine Ngeunga enquête
Un éboulement a tué sept personnes dans un trou d’exploitation aurifère abandonné le 20 avril 2021 à Malewa, Betaré Oya dans le département de Lom Et Djerem à l’Est du Cameroun. De tels décès surviennent régulièrement dans la région de l’Est et dans l’Adamaoua, les deux principales régions aurifères du pays, selon l’organisation de la société civile Forêts et Développement Rural (FODER).
Le cas le plus médiatisé reste celui de Samba, un élève de 12 ans qui s’est noyé dans une fosse aurifère non réhabilitée à la veille de l’année scolaire 2017-2018.
« Samba revenait du champ où il était allé aider sa maman à récolter du maïs. En traversant la rivière Diengou, il a fait un mauvais pas et a été englouti par les eaux dans un trou d’environ 15 mètres de profondeur », se souvient son père, Faustin.
La mine à ciel ouvert avait été creusée pour exploiter l’or et a été abandonnée par la société Metalicon SA. Suite au décès de Samba, la famille a porté plainte avec le soutien de FODER et a récemment obtenu gain de cause auprès du Tribunal de Première Instance de Batouri dans le département de Kadey. Metalicon SA a été reconnue coupable d’activités dangereuses et d’homicide involontaire. La société a été condamnée à une amende de 500 000 francs CFA et à verser deux millions de francs de dommages et intérêts à la famille de Samba.
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Cependant, le trou mortel qui tué Samba et des centaines d’autres puits d’or creusés dans la forêt n’ont pas été fermés et continuent de faire des victimes. Entre 2014 et 2020, FODER a recensé plus de 150 décès sur des sites miniers abandonnés au Cameroun, dont plus de 90 % dans la région de l’Est, la plus grande région forestière du pays.
Des trous dans la forêt
« Avant, il y avait des arbres partout à Kambèlè. Notre village était couvert de forêt et nous y avions nos plantations de manioc, de cacao et de plantain », se souvient Sosthene Zo’o, un habitant du village.
Tout a changé avec la construction du barrage hydroélectrique de Lom-Pangar, dans l’est du Cameroun. La perte de forêts dans la région est en hausse depuis 2012, année du début de la construction du barrage de Lom Pangar.
Selon les données de Global Forest Watch, l’Est du Cameroun a perdu environ 255 mille hectares de forêt entre 2012 et 2020 – ce qui équivaut à une diminution de 2,4 % du couvert végétal depuis 2000 et à 111 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone (CO2).
Le département de Lom-Et-Djerem, où a été construit le barrage de Lom Pangar, a subi la plus grande perte de forêts au cours de cette période. Lom-Et-Djerem est également le département le plus impacté par l’exploitation aurifère artisanale semi-mécanisée, et est responsable de plus de 70% des décès enregistrés dans les trous miniers abandonnés entre 2014 et 2020, selon l’analyse des données de FODER.
« L’étude d’impact socio-environnemental du barrage hydro-électrique de Lom-pangar prévoyait que les terres seraient submergées par la retenue du barrage », explique le chercheur Eric Voundi, qui a mené une étude sur les changements socio-environnementaux causés par l’exploitation minière à Bétaré Oya, dans le département du Lom-Et-Djerem. « Il était donc nécessaire d’exploiter l’or alluvial dans cette zone avant cette échéance ».
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En 2007, le gouvernement a lancé un projet de récupération de l’or et a invité les ressortissants camerounais à demander des permis d’exploitation artisanale pour exploiter l’or dans la zone du barrage.
Après avoir extrait les ressources aurifères, les exploitants de la mine artisanale semi-mécanisée ont migré vers d’autres localités, provoquant la destruction et la dégradation des forêts sur leur passage, selon la branche locale de la coalition internationale Publish What You Pay.
Sur les sites miniers abandonnés, les parcelles de terre autrefois couvertes de forêts sont désormais des lacs artificiels remplis de boue. À certains endroits, il ne reste plus que des arbres desséchés et des restes de troncs d’arbres morts. Les images satellites montrent des trous au milieu de la forêt, et ces trous s’agrandissent au fil des ans.
Selon Voundi, la déforestation a augmenté d’environ 9% dans la commune de Bétaré Oya entre 2005 et 2017. « L’exploitation minière représente près de 90% de cette dynamique », précise-t-il.
En raison de cette déforestation causée par l’exploitation de l’or, la savane remplace désormais la forêt sur les sites miniers abandonnés, note le scientifique. Face à ces dégâts, la société civile interpèle les compagnies minières.
Fraude environnementale
Selon la loi environnementale du Cameroun, toute entreprise minière doit réaliser une étude d’impact environnemental et social. Sur le terrain, de nombreuses sociétés minières semi-mécanisées violent cette loi, selon une mission de contrôle menée par le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable en 2016.
Les recherches du ministère ont indiqué qu’environ 98 % des sociétés minières semi-mécanisées interrogées étaient en infraction parce qu’elles n’avaient pas réalisé d’étude d’impact environnemental et social.
Le cahier des charges et les autorisations d’exploitation minière artisanale exigent que les entreprises ferment et réhabilitent les trous après l’exploitation de l’or. Cependant, les sociétés minières semi-mécanisées laissent souvent les trous ouverts et abandonnés.
Dans un rapport publié en 2019, la coalition Cameroun Publish What You Pay a dénombré 248 trous abandonnés dans le département du Lom-Et-Djerem, notamment à Ngoura et Bétaré Oya. FODER a recensé plus de 250 trous miniers non réhabilités entre 2014 et 2016, laissés par les 65 entreprises qui exploitaient l’or dans les régions de l’Est et de l’Adamaoua.
Ces fosses d’eau boueuse sont des sites à haut risque non seulement pour les chercheurs d’or artisanaux qui prennent le relais une fois les sociétés minières parties, mais aussi pour les populations riveraines et le bétail.
« On enregistre plusieurs décès par noyade de personnes tombées dans des trous abandonnés. Ces fosses sont souvent situées à proximité immédiate des populations, qui sont parfois obligées de traverser ces sites à pied pour se rendre dans leurs champs », explique Solange Bella Alima, juriste du projet mines-environnement-santé et société au FODER.
« La non-réhabilitation des sites miniers par les entreprises laisse des paysages chaotiques et hostiles à tout développement par les populations locales », écrit Voundi.
En tant que signataire de la Convention de Ramsar, un traité international pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides, le Cameroun s’est engagé à protéger les zones humides. Sa législation interdit les activités minières dans le lit des rivières, leurs affluents et leurs plaines inondables. Pourtant, selon la mission de contrôle 2016 du ministère, les 44 sociétés minières auditées rejetaient leurs eaux usées sans traitement dans les cours d’eau.
« Les sociétés minières semi-mécanisées détournent les cours d’eau. Elles utilisent aussi beaucoup de mercure et de cyanure, ce qui détruit la qualité de l’eau », explique Justin Chekoua, chef de projet à FODER. L’habitat n’est plus favorable à la survie d’animaux sauvages tels que les hippopotames, qui contribuent au maintien de cours d’eau sains, ajoute Chekoua. Entre septembre 2020 et janvier 2021, trois hippopotames se sont noyés dans des lacs artificiels laissés par des sociétés minières dans le département de la Kadey.
La réhabilitation et la restauration des sites contribueraient à améliorer la vie des communautés minières, estime Chekoua : « Si les compagnies ferment les trous, les communautés auront davantage de sites pour leurs travaux agricoles, les rivières reprendront leur débit normal, la qualité de l’eau s’améliorera et les animaux vivront mieux. »
Pour plus de transparence dans le secteur, les ONG demandent au gouvernement de publier la liste des sociétés minières opérant dans les différentes localités. Le Cameroun, récemment suspendu de l‘Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives après avoir manqué la date limite de remise de son rapport 2018, n’a pas publié ces données.
Crédits :
Ce reportage a été soutenu par Code for Africa et Oxpeckers Investigative Environmental Journalism, et a été financé par le Global Forest Watch (GFW) avec l’appui du ministère norvégien du climat et de l’environnement (KLD). GFW soutient le journalisme axé sur les données par le biais de son initiative de fonds de petites subventions. L’éditeur conserve une indépendance éditoriale totale sur les histoires rapportées à l’aide de ces données.
Lire aussi: Cameroun : Les mines de l’est, une menace pour l’environnement
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