[MEIGANGA, CAMEROUN] Debout sur les rives accidentées d’une grande étendue d’eau, Ruben Mbengmo, relais communautaire chargé de remonter aux autorités les informations de la localité de Fell, raconte avec amertume l’histoire de ce lac artificiel.

« Des Chinois sont venus ici faire l’exploitation minière de l’or. Ils ont obstrué le lit de la petite rivière qui traverse notre village et n’ont pas créé un autre passage pour l’eau. Celle-ci est donc venue remplir l’une des fosses qu’ils ont laissées derrière eux ».

« Cette eau que vous voyez peut atteindre 15 ou 20 mètres de profondeur. Quand les enfants viennent au bord, il arrive qu’ils glissent, tombent à l’eau et se noient. Nous avons déjà enregistré six morts dans ces conditions », conclut l’intéressé.

L’une des plus récentes victimes est d’ailleurs un proche du chef de Fell, un village de mineurs situé dans le voisinage de Kombo Laka, à plus de 700 km au nord-est de Yaoundé, dans la commune de Meiganga (province de l’Adamaoua).

“Les impacts identifiés sur la santé, l’économie et le cadre de vie entre autres sont significatifs, avec 82% d’impacts négatifs contre 18% d’impacts positifs.”

Aurélie Mokam et Cyrille Tsikam, chercheurs

A un jet de pierres de la frontière centrafricaine, Kombo Laka et ses environs sont en effet une illustration vivante du problème de gouvernance que connaît le secteur minier au Cameroun.

Dans cette localité enclavée où il n’y a, ni eau potable, ni électricité et où le réseau téléphonique est on ne peut plus aléatoire, on n’est pas loin d’une catastrophe écologique provoquée par l’exploitation minière.

Des entreprises, souvent chinoises, détentrices de licences d’exploitation souvent obtenues dans des conditions opaques, viennent ici prospecter l’or.

Un peu partout, les exploitants miniers ont laissé derrière eux un paysage constitué d’immenses fosses béantes qui défigurent le paysage et qui, en cette saison des pluies, sont autant de petits lacs artificiels qui s’étendent à perte de vue.

Un paysage qui contraste avec l’aspect originel de ces lieux que l’on peut aisément deviner en regardant la savane et les prairies voisines.

Pourtant, le nouveau code minier du Cameroun, voté en décembre 2016, dispose bien en son article 136 que « les anciens sites miniers et de carrières doivent retrouver des conditions stables de sécurité, de productivité agro‐sylvo‐pastorale et d’aspects visuels proches de leur état d’origine ou propices à tout nouvel aménagement de façon durable ».

Tout comme un arrêté, daté quant à lui de juillet 2016, interdit de mener des activités minières dans les lits des fleuves, de leurs affluents et de leurs plaines inondables.

 

Une image de la déviation du fleuve Lom - Crédit : SDN/JC

Une image de la déviation du fleuve Lom – Crédit : SDN/JC

Or, ces exploitations minières illégales atteignent un pic à Gbanam-Moufeck, à une trentaine de kilomètres de Fell. Ici, le fleuve Lom, qui alimente le barrage de Lom-Pangar (la plus grande retenue d’eau du pays) a été dévié de son cours naturel sur une centaine de mètres où l’on peut voir maintenant de nombreuses fosses remplies d’eau.

Au ministère des Mines, qui délivre les titres miniers, personne ne veut s’exprimer sur ces problèmes. Yollande Vanessa Belle Ekwe Lobé, chef de la brigade de contrôle des activités minières et Serge Boyogueno, le directeur des mines, conditionnent leur collaboration à une autorisation du ministre Ernest Ngwaboubou, lequel ne décroche pas son téléphone…

Mais un cadre du ministère confie, sous couvert de l’anonymat, qu’il y a « beaucoup d’opacité » dans la gestion du secteur minier et des revenus qui en découlent.

Par exemple, dit-il, « d’après la loi, la procédure d’attribution d’une autorisation d’exploitation doit commencer auprès des représentants de notre ministère au niveau local, où toutes les vérifications doivent être faites au préalable ».

« Mais, poursuit-il, dans la réalité, nos collègues qui sont sur le terrain ne sont pas souvent consultés et voient généralement débarquer des exploitants déjà détenteurs desdites autorisations attribuées directement ici à Yaoundé, sans aucune vérification préalable sur le terrain ».

« C’est ce qui explique un certain nombre d’irrégularités à l’instar de ces exploitations faites dans des cours d’eau », conclut cette source.

Au ministère de l’Environnement à Yaoundé, on est bien au courant de ces faits et de leurs conséquences. Marcel Wanie, sous-directeur chargé des évaluations environnementales, en énumère d’ailleurs quelques-unes.

« Les trous béants constituent des pièges pour la faune sauvage, pour les animaux domestiques et même pour les êtres humains », dit-il pour commencer.

« Ces trous sont laissés là où il y avait auparavant une végétation qui a été enlevée sans mesure de reboisement ; donc, la flore aussi en souffre », poursuit-il.

« Enfin, ils contribuent à la perturbation de certains cours d’eau, avec des risques d’inondations des habitations et des plantations, en plus de la pollution de la ressource hydrique et de la destruction de la faune aquatique », conclut l’intéressé.

Une centaine de victimes

Loin du confort des bureaux, ces réalités se vivent sur le terrain dans la souffrance et la douleur. Ruben Sana, habitant de Fell, n’oubliera pas de sitôt comment une entreprise chinoise avait détruit ses champs pour s’installer…

En passant près de l’un des nombreux puits, ce quinquagénaire montre du doigt un amas de terre : « c’est la tombe d’un gars du village qui était mort dans ce trou, dit-il. Chez nous, quand quelqu’un meurt dans l’eau, on l’enterre à côté du marigot ou de la rivière où il a trouvé la mort ».

La tombe d’un riverain mort noyé dans les eaux d’une vieille mine – Crédit : SDN/JC.

Foder (Forêts et développement rural), une ONG qui mène depuis quelques années un programme sur la gouvernance dans le secteur minier, a d’ailleurs déjà identifié et répertorié une centaine de victimes dans l’ensemble des sites miniers non- restaurés dans l’est du Cameroun.

Mais malgré les récriminations des populations locales et les dénonciations de la société civile, les exploitants en question, forts de la caution qu’ils ont des fonctionnaires de Yaoundé, font la sourde oreille et continuent leurs activités dans une totale indifférence.

Sur le site de Gala, SciDev.Net a par exemple trouvé l’entreprise chinoise en plein déménagement, laissant derrière elle le même spectacle : immenses excavations, végétation dévastée, écoulement des cours d’eau perturbé…Les deux responsables trouvés sur les lieux étant fermés au dialogue et ne parlant du reste que le chinois, c’est Abdouramane Ousmanou, géologue et représentant de HMC, l’entreprise titulaire du permis de recherche sur cette zone, qui répond à toutes ces observations et accusations. »L’entreprise déménage lorsqu’elle a fini d’exploiter la mine ou lorsqu’à un moment donné, elle estime que le gisement n’est pas en quantité suffisante pour lui garantir un retour sur investissement. C’est ce dernier cas de figure que nous vivons ici », indique l’intéressé.

Mais pourquoi ne pas restaurer le site avant de partir, comme le prescrit la loi ? « Ce que je sais à ce sujet est qu’il y a une somme qui est versée par l’entreprise pour assurer cette opération. L’année dernière, par exemple, la délégation du ministère de l’environnement à Meiganga avait collecté pour cela trois millions de FCFA auprès de chaque exploitant travaillant sur notre zone « , répond-il.

Des lacs artificiels s’étendent à perte de vue – Crédit : SDN/JC.

 

La loi portant code minier prévoit en effet un fonds destiné à la restauration, à la réhabilitation et à la fermeture des sites miniers après leur exploitation. Mais personne ne sait si le compte séquestre censé recueillir ces fonds existe…

SciDev.Net a rencontré Mbesso Dawa, le tout nouveau délégué de l’Environnement de la localité,  mais il s’est dit indisponible pour un échange sur le sujet.

Toutefois, Abel René Mahop, chef de la section Forêts à la délégation du ministère des Forêts et de la faune de Meiganga, relève l’une des difficultés que soulève cette restauration du site.

« Il arrive souvent que les populations locales refusent que les mines soient refermées ; parce qu’elles souhaitent poursuivre l’exploitation de façon artisanale », confie-t-il. Une affirmation que réfutent néanmoins les populations rencontrées…

Pourtant, un autre site d’exploitation abandonné à Fell grouille de monde. Jeunes et adultes de tous âges creusent et fouillent sans relâche autour de l’énorme cratère laissé par l’exploitant chinois,  créant à leur tour de nombreuses autres fosses profondes de plusieurs mètres.

Pendant ce temps, les femmes et les enfants tamisent et lavent la terre ainsi recueillie sur les bords de l’eau sale du cratère, afin d’isoler le précieux métal.

Les femmes et les enfants ne sont pas en reste – Crédit : SDN/JC

Une situation qui préoccupe les organisations de la société civile et attire l’attention des chercheurs, qui constatent que l’exploitation minière au Cameroun est  menée  au détriment du développement local.

« Nous observons que dans toutes les zones minières du pays, c’est la pauvreté qui suit, c’est la faim et de nombreuses maladies qui sévissent, c’est l’éducation qui meurt, parce que toute la famille est dans le trou », affirme François Médard Medjo, facilitateur et animateur chez Foder.

Aurélie Mokam et Cyrille Tsikam, auteurs d’une étude [1] réalisée à Kambélé (autre localité de l’est du Cameroun) en 2017, affirment que « les impacts identifiés sur la santé, l’économie et le cadre de vie, entre autres, sont significatifs, avec 82% d’impacts négatifs contre 18% d’impacts positifs ».

Cas pratique à Fell. Ici, il n’y a pas d’école, ni d’hôpital. Pour trouver ces services, il faut se rendre à Kombo Laka, une vingtaine de kilomètres plus loin. Du coup, la plupart des enfants ne sont pas scolarisés, préférant accompagner leurs parents dans les mines où ils s’exposent à de nombreuses maladies.

Christelle Ngana Tankeu, infirmière au centre de santé de Kombo Laka, s’est aussitôt sentie « interpellée » dès sa prise de service, en constatant que quelque 40% des consultations concernent des maladies liées à l’activité minière.

« Nous avons des maladies respiratoires ; car, en creusant la terre, ils inhalent la poussière, ce qui  provoque des maladies au niveau de leurs poumons. Ensuite, il y a des accidents dus aux éboulements », signale-t-elle.

A Kombo Laka (photo) comme à Fell, il n’y a ni eau, ni électricité – Crédit : SDN/JC.

Christelle Ngana Tankeu pointe aussi du doigt les maladies hydriques ainsi que les infections et maladies sexuellement transmissibles (IST/MST),  nourries par la promiscuité et la pauvreté : « les femmes qui sont dans ces chantiers sont amenées, pour subvenir à leurs besoins, à céder aux avances et à accepter l’argent que les hommes leur donnent. Or, la plupart d’entre eux ne se protègent pas »,  estime l’infirmière.

Dans une autre étude [2] parue en février 2017 sur l’impact de l’exploitation minière artisanale à Batouri (autre localité de l’est du Cameroun), Gus Djibril Kouankap Nono et ses collègues confirment ce constat.

Ils écrivent en effet que « les maladies d’origine hydrique et les infections sexuellement transmissibles (IST) sont très répandues et le nombre   d’infections a considérablement augmenté au cours des cinq dernières années ».

Pourtant, au regard de la loi, les entreprises qui exploitent les ressources minières sont censées verser à l’État des redevances et payer divers impôts qui doivent, entre autres, servir à l’amélioration du cadre de vie dans les zones impactées.

Le Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier (Capam) a même été créé en 2003 pour assurer le suivi des activités minières et prélever ces parts de l’État dans les recettes des exploitants.

Dans un document [3] analysant le nouveau code minier, Philippe Keubou, enseignant de droit à l’université de Dschang, dans la province de l’Ouest, précise que d’après une répartition en vigueur depuis 2014, 25% des taxes et de la valeur ajoutée sont destinées à la compensation des populations affectées par cette activité.

Tout ce travail aboutit souvent sur une moisson bien maigre – Crédit : SDN/JC

Seulement, tous les témoignages indiquent que cet argent n’arrive pas au niveau des populations locales.

Pour comprendre comment se gèrent  ces fonds, SciDev.Net s’est rendu au siège du Capam, à Yaoundé, où il lui a été signifié que la structure avait déménagé. Sa nouvelle adresse, quant à elle, était introuvable…

Au ministère de l’Environnement, on reste néanmoins optimiste et on fonde un grand espoir sur le nouveau code minier qui garantit une meilleure implication de la commune dans l’activité minière.

« Par exemple, il introduit le concept de notice d’impact environnemental qui doit au préalable être approuvée par la commune ; là où l’ancien code se limitait à une étude d’impact environnemental approuvée au niveau central à Yaoundé », soutient Marcel Wanie.

François Médard Medjo, du Foder, pense aussi que l’introduction de la sous-traitance entre les exploitants et les populations locales pourra mieux faire profiter à ces dernières des ressources de leur localité.

Reste à présent que soit signé le décret d’application de cette loi qui, deux ans après la promulgation de celle-ci, est toujours en souffrance sur la table du Premier ministre, à Yaoundé.

Références

Cet article était originalement pubié dans SciDev.Net.

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