Autour du Parc National de Campo Ma’an, des éléphants détruisent au quotien les champs des populations. Elles accusent l’Etat de protéger les bêtes au détriment des humains.

Nkoelone, une petite localité située à proximité de l’Océan Atlantique, près du Parc national de Campo Ma’an dans le Sud Cameroun. Depuis quelques jours, Marcelline Ngono, cultivatrice, est aux abois. Elle dénonce les animaux sauvages qui se promènent dans le village et sèment le chaos dans les exploitations agricoles. «Partout dans le champ, il y avait le macabo, la banane plantain. Il a tout dévasté», s’offusque la mère de 4 enfants, devant sa parcelle détruite.

A Akak, village voisin de Nkoelone, le champ de Florence Bezibi a été visité par des éléphants, peu avant le passage d’InfoCongo. Sur le sol, de la crotte et des marques de pattes sont encore fraîches.

Traces de pas d'éléphants dans les champs des habitants à Campo

Traces de pas d’éléphants dans les champs des habitants à Campo. Photo par Jeannot Ema’a/InfoCongo

Machette à la main, Florence  zigzague entre les plants de cacao aux branches arrachées et enjambe les troncs de cocotiers et d’avocatiers  renversés.  Elle ne sait plus comment s’y prendre, car les éléphants détruisent tout, « même les repousses de bananiers plantains » déplore- elle. L’indignation est générale chez la plupart des riverains de l’aire protégée de plus de 260 mille hectares, le refuge de 80 espèces de grands et moyens mammifères. Parmi ces bêtes,des éléphants, des gorilles et autres grands singes. Depuis plusieurs années, ces espèces sauvages menacées perturbent le rythme de vie des communautés. Ils font des incursions régulières dans les champs et ravagent tout. 

Dans toutes les localités de la zone, les cultivateurs perdent espoir, au point d’abandonner pour certains, leurs plantations comme l’a fait Pie Parfait Ondo, du village Assok Bitandé. Le sexagénaire ne visite plus sa plantation de 2 hectares de plantain et de manioc située à 1 km de son domicile. Il y a quatre mois, il s’y était rendu comme chaque matin lorsqu’il a découvert le « désastre ». Il a donc décidé de ne plus jamais y retourner.  

Ici, les mois de janvier à avril sont particulièrement redoutés. Pendant cette période, les éléphants rodent en permanence par vague autour des habitations, de jour comme de nuit à la recherche de nourriture. « Les récoltes sont quasi inexistantes à cause des visites sans cesse croissantes des bêtes dans nos champs, on mange plus de riz ici qu’autre chose alors que nous cultivons la terre. Mais les animaux ne nous laissent rien dans les champs » raconte t- il, l’air irrité.       

La situation est devenue si préoccupante que les riverains redoutent une  famine généralisée dans les années à venir si rien n’est fait pour atténuer ce phénomène, prévient le paysan.  Les éléphants ont également confisqué le cours d’eau qui jadis approvisionnait tout le village en eau potable. Ils menacent de s’attaquer à tous ceux qui tentent de s’en approcher » explique le sexagénaire. 

Selon Pie Parfait Ondo toutes les plaintes adressées à la conservation à campo depuis huit ans sont restées lettres mortes. « Comme l’Etat semble protéger ses animaux plus que nous les humains, nous lui demandons donc de nous garantir un salaire tous les mois», suggère-t-il. 

Ce que vivent ces communautés de la côte atlantique camerounaise n’est pas un cas isolé en Afrique et dans le monde. La plupart des pays du Bassin du Congo en occurrence, font l’expérience des conflits homme-animaux depuis de nombreuses années.  La RDC, le Congo Brazzaville et le Gabon sont dans l’ordre les plus touchés, d’après l’un des plus récents rapports sur le Suivi sous – régional Conflit Hommes faune. L’étude coordonnée par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), révèle que l’éléphant arrive en tête des “espèces à problème avec 73% des cas de conflits impliquant une espèce sauvage”. 

Attaque sur les personnes     

En plus de la destruction des cultures, ces conflits se traduisent aussi par des attaques sur le bétail et des  agressions entraînant des décès.       

« Tout le monde est menacé ici » explique Jean René Mbili, chef du village  Nazareth. L’autorité traditionnelle précise qu’à partir de 22h, il est désormais dangereux de s’aventurer hors de chez soi au risque d’être attaqué par un éléphant ou un gorille. « Il y a quelques mois, raconte-t-il, mon épouse et moi-même avons failli passer de vie à trépas sur la moto au bosquet à cause d’un éléphant qui nous avait pris pour cible ». Ils n’auront la vie sauve que grâce aux klaxons et aux jeux de phares de son engin. « Quand nos mamans vont même au champ, nous avons très peur », explique Orphé Ntoutoumou, jeune du village, « car dans un champ de manioc ou de patate, vous pouvez trouver des gorilles qui vous agressent  pour rien » ajoute le jeune homme.

La déforestation pointée du doigt 

D’après les habitants de ces localités ce phénomène a toujours existé, longtemps avant la création du parc. Mais il a pris de l’ampleur ces trois dernières années à cause de l’installation de Camvert, une agro-industrie spécialisée dans l’exploitation du  palmier  à huile.

Camvert palm oil plantation in Campo forest

Au sein de la plantation de Camvert à Campo, la forêt a cédé sa place aux jeunes palmiers à huile. Photo par Jeannot Ema’a /InfoCongo, Juillet 2021

En 2022, Camvert a bénéficié de près de 40 mille hectares de forêt. Au moment où nous réalisons cette enquête, plus de mille hectares  ont déjà été rasés. « À cause des bruits et la destruction de leur espace de vie, les éléphants sont obligés de se rabattre dans les villages pour trouver de la nourriture et nous, on  a même pas le droit de les tuer » explique un habitant du village Mabiogo, qui note avec amertume que les animaux sont plus protégés que les humains. 

A souligner que dans l’article qui expose les abus de l’agro-industrie incriminée, InfoCongo montre comment cette dernière avait commencé ses activités sur la piste des grands mammifères. 

Un conflit difficile à « gérer » 

Pour venir à bout de ce fléau, la communauté  scientifique et des organismes comme la FAO recommandent un ensemble de mesures et d’actions. Au niveau local par exemple, le contrôle et la connaissance des populations des espèces à problème et leurs habitudes, la construction des clôtures pour protéger les champs, la surveillance au moyen de divers mécanismes comme l’installation des miradors. 

Il y a aussi le recours aux méthodes dissuasives comme la culture du piment autour des plantations et l’élevage des abeilles. Ces techniques ont été utilisées à Asok Bitandé par quelques ONG.  Mais toutes ces initiatives n’ont pas prospéré. Dans cette localité, des voix s’élèvent de plus en plus pour demander une délocalisation de la population «comme ce fût pour les populations de de Nyabizan », souligne Marie Mengue, une victime qui a perdu un champ d’ignames.

Au service de conservation du parc National de Campo Ma’an, le gestionnaire est conscient de l’existence et l’ampleur de ces conflits.  Cependant, plusieurs difficultés ne facilitent pas leur gestion selon Claude Memvi Abessolo.  

Une ruche d'abeille au village Nazareth, à Campo

Henry Nlema leader des peuples autochtones Bagyeli a construit une ruche d’abeille à côté de sa maison à Nazareth, un des villages voisins du Parc National de Campo Ma’an. Photo par Jeannot Ema’a/InfoCongo

La première est d’ordre juridique : « la loi camerounaise classe les conflits hommes – faune dans la catégorie des catastrophes naturelles qui sont prises en charge par le ministère de l’administration territoriale à travers la Direction de la Protection civile. « Le ministère des forêts et de la faune n’est donc pas compétent pour dédommager ou compenser des pertes liées à la divagation des bêtes dans les villages », explique le conservateur. La deuxième raison, souligne-t-il, est l’absence de concertation des ministères sectoriels au moment de l’élaboration des grands projets structurants. « Ces derniers s’implantent sans tenir compte des couloirs de migrations des animaux ». Claude Memvi Abessolo accuse également les populations qui occupent anarchiquement les couloirs migratoires des bêtes, désorganisant ainsi leurs mouvements. 

Toutefois, l’administration forestière n’est pas indifférente face aux plaintes. Selon le conservateur, des campagnes de sensibilisation des populations dans les différents villages sont régulièrement organisées et tous les dossiers relatifs à ces plaintes ont été transmis à la haute hiérarchie. 

Ce reportage a été réalisé avec l’appui du Rainforest Reporting en partenariat avec Pulitzer Center.

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