L’eau que l’on boit, celle qui irrigue les champs, qui sert à l’industrie, à la production d’énergie, qui part dans les toilettes… l’eau est partout un bien sous pression.
Car la demande explose – elle pourrait augmenter de 50 % d’ici à 2030 –, mais la ressource, elle, se restreint, parfois même terriblement dans certaines régions du monde. Il est donc devenu impensable de continuer à la gaspiller massivement.
A l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, le 22 mars, l’Unesco – l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture –, et l’ONU-Eau, publient un rapport entièrement consacré aux eaux usées – c’est-à-dire toute eau dont la composition chimique a été altérée lors de son utilisation par les humains –, présentées comme une « ressource inexploitée ». Ne sont-elles pas un « nouvel or noir » ?, s’interrogent ses auteurs. Alors que les changements climatiques imposent « un recours plus systématique à une eau recyclée », cette révolution leur paraît « inéluctable ».
« Dans la Station spatiale internationale, le matin, l’eau est consommée avec du thé, l’après-midi elle devient de l’urine et le lendemain elle sert à se raser… il s’agit de la même eau depuis des années ! », rapporte Richard Connor, rédacteur en chef de ce copieux rapport, pour illustrer les possibles performances des traitements existants.
Mais sur la planète Terre, on en est très loin. Les eaux souillées sont à 80 % rejetées dans l’environnement sans traitement ; à 92 % en moyenne dans les pays à faible revenu et à 30 % dans les plus prospères.
L’oxygène diminue
Dans ces conditions, non seulement elles ne comblent aucun besoin, mais elles ont un effet dévastateur sur l’environnement. Bactéries et pollutions diverses charriées par les fleuves jusque dans les océans affectent la santé humaine, la faune, la flore, la qualité de l’eau douce. Elles ont un impact sur la pêche et la sécurité alimentaire…
Solvants, hydrocarbures de l’industrie, azote, phosphore et potassium issus de l’agriculture intensive accélèrent l’eutrophisation des zones côtières, la dégradation des milieux marins, l’apparition d’algues nuisibles.
L’oxygène diminue, les zones mortes s’étendent sur 245 000 kilomètres carrés. Environ un septième de tous les cours d’eau d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont déjà contaminés par « une pollution organique grave », en constante augmentation.
L’ONU-Eau note une amélioration du côté des installations d’assainissements domestiques : environ les deux tiers de la population en disposent. Mais la collecte, la vidange, le transport et le traitement des eaux d’égout manquent d’efficacité.
De toute façon, 2,4 milliards de personnes dans le monde n’ont toujours accès à aucun équipement – pas même des toilettes sèches collectives par exemple –, tandis que 2 milliards d’humains défèquent toujours en plein air. Ce chiffre-là n’évolue guère.
Dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, on a recensé 842 000 morts dues à une eau potable contaminée et à des services sanitaires inadaptés en 2012. Cette année-là, 361 000 enfants de moins de cinq ans – qui sont les premières victimes des maladies hydriques –, auraient pu être sauvés s’ils avaient bénéficié d’installations correctes, ne serait-ce que pour se laver les mains.
Les pathogènes des déjections humaines et animales contaminent « près d’un tiers des rivières en en Amérique latine, en Asie et en Afrique, mettant la vie de millions de personnes en danger », écrivent les rapporteurs.
Explosion démographique
Même si les prélèvements d’eau que les villes opèrent dans les réserves mondiales sont limités (11 % à comparer aux 70 % qui partent pour l’agriculture), leurs rejets ont un impact fort sur l’environnement. L’explosion démographique constitue donc un défi vertigineux, surtout celle des bidonvilles.
La proportion de la population a beau y diminuer (cela concerne tout de même 62 % des urbains en Afrique subsaharienne), elle ne cesse d’augmenter en nombre d’habitants. L’ONU s’inquiète en particulier des conséquences des conflits au Moyen-Orient, où la part des gens entassés dans des logements informels atteint 77 % dans plusieurs pays.
Autre exemple, celui de Lagos, au Nigeria, une ville qui génère 1,5 million de mètres cubes d’eaux usées par jour avec ses 18 millions d’habitants. Le tout sans système d’égouts centralisés. En dehors des fosses septiques, l’essentiel des rejets des ménages de la plus grande ville d’Afrique ruisselle dans des caniveaux ouverts jusqu’à la mer. Et la population pourrait atteindre 23 millions d’individus en 2020.
Jusqu’à présent, les décideurs politiques se sont intéressés à l’approvisionnement bien davantage qu’aux questions d’assainissement. De fait, l’ampleur des investissements qu’il faudrait consentir pour remédier au retard dans ce domaine a de quoi décourager les bonnes volontés.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, 86 % des habitants seront des citadins d’ici à 2050. La collecte par les égouts y progresse, mais le traitement en bout de course ne représente encore que 20 % à 30 % du total. Pour atteindre deux tiers de couverture, il faudrait y consacrer plus de 31 milliards d’euros, plus 32 milliards d’euros pour aménager des réseaux d’évacuation des eaux pluviales et réduire ainsi la pollution par ruissellement dans les rues.
Stations d’épuration et systèmes de lagunage n’ont pas forcément besoin d’être performants au point de produire de l’eau potable, comme à Singapour, à Windhoek, en Namibie, ou à San Diego, aux Etats-Unis. Une pratique volontariste qui reste marginale.
« Mais un peu de traitement vaut mieux que pas du tout ! assure Rick Connor. On ne pourra pas résoudre le problème global avec des méga systèmes centralisés comme avait pu en construire l’ex-Union soviétique, dont certains sont devenus obsolètes. Nous voulons dire aux bailleurs de fonds internationaux qu’il existe d’autres solutions, comme des mini-stations d’épuration aménageables, même en milieu urbain. »
Du phosphore dans les urines
L’ONU-Eau recense à l’intention des investisseurs toutes les perspectives qu’offre l’exploitation des eaux usées. Par exemple, le phosphore, aujourd’hui extrait dans des mines, pourrait être épuisé dans cinquante ou cent ans, alors que l’on pourrait répondre à 22 % de la demande mondiale en recyclant les excréments humains, qui en sont riches.
De même la récupération d’azote et la production de biogaz à partir de boues d’épuration pourraient faire baisser la facture de l’assainissement et créer des emplois.
Mais si les auteurs veulent attirer l’attention sur la réutilisation de l’eau, c’est avant tout parce que ce changement d’état d’esprit pourrait atténuer le manque qui se fait de plus en plus sentir. Le Forum économique mondial a estimé en 2015 que la crise de l’eau constitue « le risque le plus préoccupant de la planète, pour les personnes et les économies, pour les dix prochaines années ».
Les deux tiers de la population mondiale connaissent des pénuries pendant au mois un mois par an, surtout en Inde et en Chine. « Environ 500 millions de personnes vivent dans une région où la consommation d’eau est deux fois supérieure aux ressources hydriques renouvelables », précise Richard Connor. Autrement dit, elles piochent dans des réserves qui ne se rempliront pas à la prochaine saison.
Click here to read the original article.