Faut-il exploiter ou non le pétrole dans le parc des Virunga, un site pourtant inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO? Cette question est au cœur de vifs débats au sein de la classe politique congolaise, des organisations non gouvernementales locales et internationales, des experts économiques et même au niveau des institutions gouvernementales.
Le gouvernement congolais a l’ambition de conduire le pays à l’émergence, à moyen terme. Pour y arriver, les autorités de la République Démocratique du Congo veulent mettre à contribution les ressources naturelles du pays, au nombre desquelles figurent les hydrocarbures. Certains gisements pétroliers se trouvent dans des sites à grandes valeurs biologiques et écologiques, telles que les aires protégées. Les lois du pays, notamment celles relatives à la conservation de la nature et à l’environnement ainsi que les lois internationales que le pays a ratifiées, interdisent les activités extractives dans ces genres de site. Le cas du Parc National des Virunga, situé à l’est de la RDC, illustre bien ce contraste.
En décembre 2007, le gouvernement congolais a octroyé à des multinationales européennes des concessions pétrolières (blocs III, IV et V) qui juxtaposent le Parc National des Virunga sur environ 85% de sa superficie. La compagnie pétrolière britannique Soco International PLC, détentrice du permis sur le bloc V, est la seule qui a réalisé des activités d’exploration pétrolière. Son bloc couvre la totalité du Lac Edouard inclus dans le Parc des Virunga. En réaction à cette attribution des blocs pétroliers, les organisations nationales et internationales œuvrant dans le secteur environnemental et les droits de l’homme ainsi que quelques partenaires de la RDC se sont mobilisées pour réclamer l’annulation pure et simple de ces permis pétroliers.
Que reproche-t-on à cette décision gouvernementale?
«Le contrat de partage de production signé par la République Démocratique du Congo viole les lois congolaises comme celle relative à la conservation de la nature et celle portant principes fondamentaux de l’environnement qui proscrit toute activité extractive dans une aire protégée ; il viole aussi les lois internationales auxquelles le pays a souscrit», a indiqué René Ngongo, Président de la Commission Environnement du Conseil Socio-économique de la RDC.
Pour Pascal Muko de l’ONG EST œuvrant au Nord Kivu, le projet d’exploitation du pétrole dans le Parc National des Virunga est une provocation pure et simple des communautés locales dont la survie dépend de ce site. «Nous n’avons pas été préalablement informés de l’existence d’un contrat de partage de production du bloc V entre notre gouvernement et la compagnie pétrolière Soco. Le principe du CLIP n’a pas été respecté. La communauté locale, dépendante de ces ressources naturelles devrait consentir à ce projet avant sa mise en œuvre. C’est un projet qui nous a été imposé. La vie de la communauté vivant autour du lac Edouard n’est pas négociable. Il n’y a jamais eu d’exploitation du pétrole sans pollution dans le monde. Nous pensons que la gestion rationnelle du Parc National des Virunga apporterait plus des recettes au Gouvernement et pour longtemps que l’exploitation du pétrole qui ne dépasse pas 30 ans», conclut Pascal.
Malgré toutes ces contestations, la compagnie pétrolière a obtenu différentes autorisations et outre les tests aéromagnétiques et aérogravimétriques, elle a réalisé les tests sismiques, avec l’encadrement d’un comité de suivi environnemental et écologique établi par le ministère de l’environnement.
En compensation pour le manque à gagner, pendant les tests sismiques, une somme de 187.000 dollars américains devrait été remise aux pêcheurs du lac Edouard à qui l’accès était interdit. «Durant la phase de prospection pétrolière de Soco, nous avons été empêchés d’accéder au lac Edouard», soupire Silvain Nganduli, pêcheur de Vitshumbi, un village des pêcheurs situé dans le Parc National des Virunga. «Sans une autre activité alternative, imaginez ce que nous avons dû endurer pendant ce temps avec nos familles. Et la compensation promise aux pêcheries n’a jamais été reçue». Tout comme Silvain, plus de 50.000 personnes vivant dans les pêcheries autour du lac Edouard dépendent de ses ressources pour leur survie.
En octobre 2013, le WorldWild Fund (WWF) a déposé une plainte à l’encontre de Soco auprès de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), stipulant que la société pétrolière ne respectait pas les normes de responsabilité sociale des entreprises internationales. A la suite de cette plainte, en juin 2014, Soco a pris l’engagement de ne pas procéder au forage dans le parc des Virunga, à condition que le Gouvernement congolais et l’UNESCO l’autorisent. «Certes, Soco a suspendu ses activités, mais tant que le permis pétrolier n’aura pas été annulé, la menace du pétrole continuera à planer sur Virunga », s’inquiète Gervais Kyambula, coordonnateur de l’ONG MERVI.
Déclaration des politiques congolais pour un possible déclassement
Dans une interview accordée à la BBC en mars 2015, le Premier ministre, Matata Ponyo, a fait savoir la volonté du gouvernement de négocier avec l’Unesco pour obtenir la désaffection d’une partie du parc des Virunga au profit de l’exploitation pétrolière.
Au mois d’août passé, l’ancien Ministre des hydrocarbures Crispin Atama, intervenant sur la radio Okapi, a indiqué que Soco a suspendu ses activités pour laisser le gouvernement, propriétaire du sol et du sous sol, qui a la souveraineté permanente sur le parc de négocier avec le patrimoine mondial.
Ces déclarations des politiques congolais démontrent la volonté du gouvernement de développer la ressource.
Par contre, les acteurs de la société civile hostiles à l’exploitation pétrolière, sont préoccupés par le risque de modification des limites actuelles du Parc National des Virunga autour du lac Edouard à des fins d’exploitation pétrolière. «Une telle modification entraînerait des conséquences désastreuses sur les écosystèmes et les opportunités économiques que le parc développe, à travers l’Alliance Virunga», a déclaré René NGONGO.
L’Unesco opposé à l’exploitation pétrolière dans le Parc.
Depuis que l’on soupçonne la présence du pétrole aux Virunga, l’Unesco s’est maintes fois opposé à ce projet jugé incompatible avec le statut du site.
Déjà, lors de la 34e session du patrimoine mondial, organe de décision de la Convention, à Brasilia, l’UNESCO s’inquiétait des conséquences éventuelles d’une possible exploitation pétrolière sur les écosystèmes et la biodiversité du Parc. Depuis lors jusqu’à ce jour, le comité du patrimoine mondial, n’a cessé de réitérer sa demande à l’Etat congolais d’annuler tous les permis d’exploration pétrolière se trouvant à l’intérieur du parc.
Contacté, Luis Rodriguez, chargé de programme du patrimoine mondial de l’UNESCO-RDC a réaffirmé la position du Comité du Patrimoine mondial, à savoir : l’exploration et l’exploitation pétrolières et gazières sont incompatibles avec le statut de site du Patrimoine mondial, dont la valeur universelle exceptionnelle doit être strictement préservée. Cette position de l’UNESCO est diversement commentée dans l’opinion congolaise.
La violation des lois congolaises et des conventions internationales mettent les autorités congolaises et tout le pays dans une situation inconfortable vis-à-vis des communautés concernées, de la société civile et des différents partenaires et investisseurs. Si ceux qui sont censés faire respecter la loi ne le font pas, on n’est pas loin de tomber dans l’arbitraire et l’instabilité.
«Le Parc des Virunga est un site de la République Démocratique du Congo classé au patrimoine mondial. Il est inadmissible d’empêcher le pays de procéder ne serait-ce qu’à l’évaluation pour connaitre la qualité, la quantité ainsi que la valeur de ses ressources », a confié l’Expert économiste AL Kitenge à InfoCongo. «Lorsqu’on connait la valeur de ses ressources, on peut être à mesure de lever les capitaux pour développer le pays. Ça, c’est la responsabilité des politiques congolais face aux citoyens congolais qui vont leur demander des comptes et non face aux ONGs. Dans les eaux arctiques, les pays occidentaux sont en train de faire le test pour voir comment ils peuvent exploiter le gaz de schiste. Cette réalité est juxtaposable sur la réalité congolaise», a-t-il renchéri.
Pétrole aux Virunga, un dossier à plusieurs rebondissements et discordances
Le dossier pétrole aux Virunga a fait couler beaucoup d’encres et de salives, il a aussi connu plusieurs rebondissements que d‘aucuns qualifieraient de tergiversations de la part du gouvernement congolais.
En 2010, Soco a lancé les premières investigations préalables aux travaux d’exploration pétrolière dans le bloc V, sans préalablement réaliser une Etude d’Impact Environnementale. La même année, les conclusions et propositions de son étude sur le bloc V ont été rejetées par l’ICCN puis par le Ministère de l’Environnement. En 2011, suite aux préoccupations exprimées par l’UNESCO vis-à-vis de ce projet, la RDC a suspendu les activités de prospection pétrolière dans le parc des Virunga.
En 2012, malgré cette pression, le gouvernement de la RDC a accordé à Soco un certificat d’acceptabilité environnementale pour ses campagnes d’acquisition des données aéromagnétiques et aérogravimétriques. Ce revirement du gouvernement a été mal perçu a alimenté diversement les commentaires des acteurs. La problématique Virunga a fait voir des discordances même au sein des équipes gouvernementales.
A titre illustratif, deux ministres du gouvernement Matata II ont affiché leur divergence de vue sur la problématique pétrole aux Virunga dans la presse. Celui de l’environnement a déclaré à l’AFP qu’il n’est pas favorable au pétrole dans le Virunga, alors que celui des hydrocarbures réaffirmait sur Radio Okapi, la volonté du gouvernement de poursuivre avec l’exploitation.
Le Parc National des Virunga, moteur de développement
Créé en 1925, et étendu sur 790.000 hectares, la Virunga est le plus ancien des parcs nationaux d’Afrique. Il est reconnu, notamment, pour l’observation des gorilles de montagne en milieu naturel, l’ascension au volcan Nyiragongo et au Mont Ruwenzori. Sa diversité d’habitats , allant des marécages et des steppes jusqu’aux neiges éternelles du Ruwenzori, à plus de 5.000 m d’altitude, en passant par les plaines de lave et les savanes sur les pentes des volcans fait de ce parc un site exceptionnelle qui abrite une très grande diversité d’espèces végétales et animales.
Pour les partisans de l’exploitation pétrolière, le gouvernement de la RDC pourrait se servir des recettes pétrolières pour développer le pays et réduire ainsi la pauvreté et les inégalités sociales.
Le Gouvernement de la RDC n’a jamais nié que Virunga soit le plus beau parc au monde qui peut attirer beaucoup de touristes et contribuer à l’économie congolaise. Le Gouvernement a eu l’occasion de réunir les techniciens qui connaissent les méthodes et techniques susceptibles d’explorer et au besoin exploiter le pétrole sans détruire la biodiversité. «Est-ce que la conciliation de la protection et la production du pétrole n’est possible qu’ailleurs et non en RDC ?» questionne l’Honorable Nzekuye interviewé par Radio Okapi à Kinshasa.
Les acteurs environnementaux reprochent à certains leaders politiques de ne prendre en compte que les intérêts à court terme.
La vie d’un puits de pétrole varie de 20 à 40 ans, faut-il vraiment sacrifier ce joyau de l’humanité pour une exploitation du pétrole non durable, et qui ne va pas contrairement à ce que beaucoup des gens disent, créer des emplois, surtout que le raffinage ne se fera pas en RDC. Quelques sentinelles, quelques chauffeurs seront embauchés, seul un petit noyau de gens en RDC va tirer profit de ce pétrole. Quand on parle économie, il faut voir aussi la durabilité. Les projets qui sont en train d’être mis en œuvre par l’Alliance Virunga et qui constituent une réponse durable pour la province du Nord Kivu et les communautés.
Les réserves pétrolières ne sont pas toutes faites pour être exploitées aujourd’hui, mais il faut qu’on en connaisse la valeur et qu’on soit en mesure de décider de la manière dont on va les utiliser. L’option première devrait être la constitution des titres pour la levée des capitaux susceptible de contribuer au développement du pays. Si nous connaissions de manière certifiée la valeur de nos réserves nous pouvions être sûr, même sans exploiter, d’emprunter de l’argent pour développer le pays. Et ça c’est la responsabilité des politiques congolais.
Le gouvernement devrait attendre la réalisation de l’Etude Environnementale Stratégique sur la partie nord du rift albertin, demandée par le Ministère de l’Environnement et Développement Durable en 2011, car capable de lui fournir des recommandations sur les meilleures options pour le pétrole pour la région.
Vraisemblablement, la question de l’exploitation pétrolière divise l’opinion. L’issu de ce dossier permettra de définir l’avenir de la conservation de la nature, mieux l’avenir des aires protégées en RDC. Entre les besoins économiques à court terme et la conservation des ressources naturelles à long terme, quelle est la meilleure option pour le pays ?
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