Au Cameroun, une importante quantité de bois flottants et des troncs d’arbres morts occupent la surface noyée du barrage réservoir de Lom Pangar, 5 ans après sa mise en eau.
Ouami – Cameroun, sur le lac du barrage Lom Pangar. Une embarcation de fortune vient de se heurter à un tronc d’arbre et est immobilisée sur l’eau à une quinzaine de kilomètres du débarcadère de Ouami. Le moteur de la pirogue en bois est en arrêt. A bord, une dizaine de passagers, hommes, femmes et enfants font des commentaires évasifs pour dissimuler la panique qui se dessine déjà sur certains visages.
Aux deux extrémités de la pirogue, les deux jeunes conducteurs affichent une mine sereine. Ils se concertent à distance en fulfuldé, langue maternelle des ethnies Peules du Nord Cameroun. Puis tous deux plongent leurs pagaies dans l’eau et effectuent quelques mouvements. 15 minutes, suffisent pour dégager l’obstacle et redémarrer le moteur. Les voyageurs poussent un ouf de soulagement, leur expédition peut alors reprendre.
De pareilles situations font partie intégrante du quotidien des communautés de pêcheurs qui naviguent sur les 590 Km2 de surface noyée du barrage hydro-électrique de Lom Pangar. En pleine navigation et à intervalle réguliers, les piroguiers zigzaguent pour éviter de se heurter aux grands troncs d’arbres dépourvus de branches et presqu’entièrement submergés.
Bien qu’ayant pour la plupart des pirogues à moteurs, ils utilisent aussi leurs pagaies en bois pour dégager des bois flottants qui surgissent sans arrêt sur le chemin. A chaque voyage, c’est le même scénario. Non seulement ce bois flottant handicape la navigation des pêcheurs, mais il constitue aussi l’un des impacts environnementaux les plus palpables du barrage réservoir de Lom Pangar.
« Il y a beaucoup de bois morts dans ce lac simplement parce qu’il y a eu un processus d’asphyxie des arbres», Phanuella Djateng
Depuis 2018, l’organisation environnementale SAILD fait le monitoring du changement du couvert forestier dans la zone d’emprise du barrage réservoir de Lom Pangar. L’équipe allie descentes sur le terrain et données satellitaires de Global Forest Watch et de l’Atlas Forestier interactif du Cameroun pour évaluer l’impact socio-environnemental du barrage.
Carte interactive de la perte du couvert forestier dans la zone d’emprise du barrage Hydro-électrique de Lom Pangar entre 2012 et 2018/ Global Forest Watch
« Il y a beaucoup de bois morts dans ce lac simplement parce qu’il y a eu un processus d’asphyxie des arbres. Les cours d’eau ont été élargis avec la mise en eau du barrage et cela a asphyxié les arbres qui étaient sous terre ferme», constate Phanuella Djateng, Chef de projet au SAILD.
Bois noyé, un échec
Pour atténuer cet impact environnemental et valoriser le bois de la retenue, le Plan de Gestion Environnementale et Sociale (PGES) du projet de Lom Pangar avait prévu la récupération de la biomasse et du bois d’œuvre dans la retenue avant la mise en eau. « Avant le barrage de Lom Pangar, cette retenue n’était constituée que de forêt. Pendant les études, on se préoccupait de ce que quand cette forêt serait ennoyée, on devait avoir la décomposition de la matière végétale et qui devaient engendrer des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons anticipé tous ces phénomènes » rassure Alphonse Emadak, Directeur-PGES à Electricity Development Corporation (EDC), l’entreprise responsable du barrage.
« La récupération de la biomasse dans la retenue peut être considérée comme un échec majeur puisqu’elle n’a pas contribué à valoriser ce bois », rapport ATESI
A cet effet, « en 2013 l’étude ONFI avait proposé de déforester près 6000 hectares le long du Lom et du Pangar en espérant récolter 800 000 m3 de bois commercialisable, les grumes commercialisables devant être exploitées préalablement au déforestage des parcelles », rappelle l’Auditeur Indépendant du barrage (ATESI). Après le remplissage total de la retenue fait en 2016, l’auditeur affirme pour le déplorer que « La récupération de la biomasse dans la retenue peut être considérée comme un échec majeur puisqu’elle n’a pas contribué à valoriser ce bois ». Les 12 rapports de l’ATESI réalisés sur la période 2014 – 2017 montrent que les objectifs de récupération du bois dans la retenue de Lom Pangar n’ont pas été atteints.
A peine 2% de la surface ennoyée du barrage de Lom Pangar a été déforestée avant la mise en eau. « Le démarrage très tardif (quelques mois avant la première mise en eau) des activités de déforestage sur une surface très réduite (600 ha soit à peine 2% de la surface ennoyée) n’ont pas permis de valoriser le bois existant », précise l’ATESI N°10. Par conséquent, à peine 1% de la ressource forestière a été extraite de la retenue avant la mise en eau de la retenue de Lom Pangar. « Si 2000 mètre cube de bois (à peine 1% de la ressource) ont été extraits des zones de défrichement aucun bois n’a été vendu aux enchères ni donc valorisé.», souligne le rapport.
L’attribution des contrats de Vente de Coupe constituait l’un des points clés du PGES du barrage. Mais, l’auditeur note un grand écart entre les objectifs fixés et les activités réalisées. « Initialement prévu sur 2500 ha, seuls 610 hectares ont finalement été attribuées à 3 sociétés qui ont démarré leurs activités en mars-avril 2015. Au début de l’année 2016, les 3 zones avaient été très irrégulièrement défrichées avec de nombreux résidus non brulés », indique l’audit N°12.
En outre, « La plus grande partie des travaux s’est déroulée en saison des pluies ce qui a considérablement complexifié le processus de récupération du bois de la retenue. La zone du débarcadère a été la moins bien défrichée. De nombreux parcs à bois restent soit isolés, soit ennoyés, soit en bordure direct de la retenue », signale l’auditeur.
Des retards qui pénalisent
L’environnementaliste Justin Chekoua n’est pas surpris par ces résultats. Actuellement chef de projet au sein de l’organisation FODER, il a travaillé quelques années dans le projet de Lom Pangar en tant qu’environnementaliste. « EDC avait l’obligation, en fonction du cahier de charges qu’il a signé avec la Banque Mondiale, de retirer tout le bois dans le réservoir du barrage avant de lâcher les eaux. Mais, par rapport à la programmation initiale qui avait été faite, ils ont accusé au moins deux ans de retard dans la contractualisation des entreprises en charge de la récupération du bois d’œuvre de la retenue avant la mise en eau. Ce retard a handicapé le travail des entreprises car lors qu’elles ont commencé à exploiter le bois, l’eau inondait déjà et elles étaient obligées de partir », explique l’environnementaliste Justin Chekoua.
Aujourd’hui, « Il y a suffisamment de matière organique décomposée dans le barrage de Lom Pangar et cela produit du méthane », note Justin. Le PGES soulignait qu’il existe une possibilité que les appels d’offres pour la récupération du bois par Vente de Coupe puissent être infructueux. « l’émission du gaz à effet de serre est estimée augmenter de 2-3% si aucune récupération de bois n’avait lieu, et les risques des impacts induits dans la zone seront réduits », précise le PGES.
Jadis considérés comme « source d’énergie propre », les grands barrages hydro-électriques sont aujourd’hui remis en cause. International Rivers affirme que « les grands barrages sont tellement nocifs qu’ils ne peuvent pas être qualifiés énergie verte ». Dans des régions de forêts tropicales, comme le Bassin du Congo, ces barrages ont des effets sur le réchauffement de la planète. Ils produisent des émissions de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone dû à la perte des forêts et le méthane qui résulte de la décomposition de la végétation noyée suite au stockage de l’eau dans la retenue.
Selon International Rivers, « Les barrages réservoirs sont responsables du quart des émissions de méthane causées par l’homme, ce qui représente 4% du total du réchauffement climatique dû à l’action humaine ». Des scientifiques estiment que le méthane est au moins 20 fois plus puissant que le dioxyde de carbone en termes de contribution l’effet de serre.
Note de l’éditeur: Cet article fait partie de la série de reportages et visualisations de données relatifs au changement du couvert forestier et la gestion des forêts au Cameroun. Réalisés avec l’appui technique et financier de Global Forest Watch, il s’inscrit dans le cadre du programme Global Forest Watch Tech Fellowship 2019. Le contenu éditorial de cet article engage l’unique responsabilité d’InfoCongo.
BEL ARTICLE. Il est trop riche en information, bien fouillé, structuré et agréable à lire. Chapeau à l’artiste
Riche, détaillé et illustratif. Je me suis délectée.
Bravooo! Ce que révèle l’article c’est bien la face invisible de cet investissement. De nombreuses sources croisées de manière cohérence. Je m’en suis abreuvés. Nous attendons la suite… Question:les riverains du lacs sont ils conscients du danger de la présence de ce bois mort? Thank you
Bonjour.
Merci pour cet éclairage bien que triste pour nos populations.
Que disent les gestionnaires de ce cite ? Que pense les autorités compétentes ?.. pourtant ils existent bien des solutions simples.
Ferdinand OLINGA
Office nationale des forêts ( France ) service travaux