La célèbre océanographe américaine Sylvia Earle a mené des études approfondies sur la mer depuis plus de 60 ans et a consacré plus de 7.000 heures à la recherche et au tournage de la vie en mer depuis sa première plongée à 16 ans.
Mme Earle, qui, dans les années 1980, était la première femme scientifique à la tête de l’Administration nationale océanique et atmosphérique, a entrepris une croisière mondiale en 1964 et en 1970 a mené une expérience avec une équipe féminine passant deux semaines dans une capsule sous-marine sur un récif de corail.
Mme Earle parcourt le monde pour sauver les mers des fléaux qui menacent leur existence—tout comme les millions de citoyens au monde qui vivent à leurs dépens.
Elle alerte sur le fait que la vie marine est victime de destructions en tout genre, dues à la fois à la surpêche, l’augmentation des températures et la présence des déchets plastiques. Depuis les années 1950, le monde a perdu 50 % de ses récifs coralliens et 90 % de ses gros poissons.
99 %
des oiseaux de mer auront ingéré du plastique d’ici 2050 si rien n’est fait pour inverser la tendance.
Les océans sont submergés par des déchets plastiques : des millions de tonnes de bouteilles d’eau, des bouteilles de soda, des pailles et des sacs plastiques à usage unique. Pire encore, ce que l’on voit à la surface ne représente que 5% des déchets plastiques. Selon Ocean Conservancy, une ONG écologiste américaine à but non lucratif, les 95 % restant détruisent les créatures et les écosystèmes marins.
Mme Earle déclare : « Les océans sont maintenant obstrués par le plastique, en particulier par les engins de pêche abandonnés et les objets à usage unique ».
Aujourd’hui, le monde produit 20 fois plus de plastique qu’il y a 40 ans. Chaque année, plus de 8 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans les océans, causant des ravages sur les animaux aquatiques, la pêche, le tourisme et les écosystèmes marins. Selon un rapport récent de la Ellen MacArthur Foundation, moins de 14% des produits plastiques sont recyclables. Il est urgent de développer une innovation ou une technologie permettant de traiter les 86 % restants, afin de générer entre 80 à 120 milliards de dollars, qui permettraient de construire une économie régénérative.
Malheureusement, les déchets plastiques ne se décomposent pas et resteront dans les océans des centaines d’années. Le plastique est tellement durable que l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis affirme: « Toute particule plastique déjà fabriquée existe encore. »
Une fois dans la mer, les déchets plastiques rejettent des produits chimiques toxiques dans les mers.
« Jusqu’à 80% de tous les déchets présents dans nos océans sont en plastique. Avec la vitesse à laquelle nous déversons des objets tels que des bouteilles en plastique, des sacs, des gobelets et des pailles après une seule utilisation, d’ici 2050, nous aurons plus de produits plastiques dans les océans que de poissons », avertit l’agence des Nations Unies chargée de protéger l’environnement.
En raison de leur faible densité, les déchets plastiques sont facilement transportés sur de longues distances. Les courants océaniques les disséminent aux quatre coins du globe, à la surface et au fond des océans.
Selon le Centre pour la diversité biologique basé aux États-Unis, il existe « 15 à 51 trillions d’objets plastiques se trouvent dans les océans—de l’équateur aux pôles ». De récentes études montrent qu’il n’existe pas un kilomètre carré de la surface des océans qui ne soit pas pollué.
Pire encore, l’industrie des cosmétiques ajoute maintenant des «micro-billes» de plastique à des centaines de produits, tels que les gommages ou les dentifrices. Ces particules passent facilement à travers la filtration de l’eau et les systèmes de drainage pour se retrouver dans la mer où ils sont ingérés par les poissons et les oiseaux. ONU Environnement prévient qu’environ 99 % de tous les oiseaux de mer auront ingéré du plastique d’ici 2050 si rien n’est fait pour inverser la tendance.
L’Afrique n’a pas été épargnée par ce fléau. Si la plupart des déchets plastiques en Afrique ne proviennent pas du continent, les villes africaines et les villes côtières ont leurs propres déchets plastiques. Mme Earle cite les îles au nord-ouest de l’Océan Indien comme étant les plus touchées par les déchets plastiques.
Les plastiques dans les océans tuent ou nuisent à plus de 300.000 animaux marins chaque année, selon Mme Earle. Certaines créatures s’enchevêtrent dans les débris, tandis que d’autres, comme les oiseaux de mer, les tortues, les poissons, les huîtres et les moules les ingèrent, ce qui obstrue leurs systèmes digestifs et cause leur mort. Les poissons et les oiseaux confondent le plastique avec de la nourriture.
« Lorsque les jeunes oiseaux finissent par mourir, vous pouvez littéralement voir de petites boules de plastique à côté de leurs squelettes », a déploré Mme Earle.
D’ici 2050
nous aurons plus de produits plastiques dans les océans que de poissons, selon ONU Environnement
La menace plastique est devenue si grave que, en février, l’ONU a lancé la campagne Clean Seas lors du sommet mondial de l’océan réunissant des économistes à Bali, en Indonésie. Cet effort mondial vise à convaincre les gouvernements d’adopter des politiques de limitation du plastique et les industries de réduire la quantité d’emballages plastiques. L’ONU exhorte également les consommateurs à modifier leurs habitudes.
« Nous accusons du retard en ce qui concerne l’élimination du plastique qui met en péril nos océans. Les polluants se déversent sur les plages, s’installent au fond de l’océan et remontent à travers la chaîne alimentaire pour se retrouver dans nos aliments. Nous sommes longtemps restés inactifs et le problème a empiré.
« Cela doit cesser », a déclaré Erik Solheim, le responsable de ONU Environnement, lors du lancement de la campagne Clean Seas.
Au cours de l’année, la campagne annoncera des mesures ambitieuses prises par les pays et les entreprises pour interdire ou imposer des sacs à usage unique, éliminer les micro-plastiques des produits de soins, ou réduire l’utilisation du plastique jetable.
Jusqu’à présent, plus d’une douzaine de pays, dont le Cameroun, l’Éthiopie, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Malawi, le Mali, la Mauritanie, le Rwanda, la Sierra Leone, la Tanzanie et l’Ouganda, ont adopté ou proposé des interdictions de sacs en polyéthylène.
Le Kenya a annoncé l’interdiction de la fabrication et de l’importation des sacs plastiques qui entrera en vigueur dans l’année. D’après ONU Environnement, les supermarchés utilisent tous les ans environ 100 millions de sacs plastiques qui tueront oiseaux, poissons et autres animaux qui les prennent pour de la nourriture, détruiront des terres agricoles, pollueront des sites touristiques et constitueront des niches pour les moustiques qui transmettent le paludisme et la dengue.
Inverser la tendance
« Nos océans sont-ils morts ? Pas encore, mais ils ont de sérieux ennuis, », affirme Mme Earle. « Les déchets plastiques ne connaissent pas de limites et peuvent se déporter sur les rivages, y compris sur les îles désertes. C’est un fléau mondial qui requiert une riposte globale. »
Pour Mme Earle, les Etats doivent promulguer des lois qui interdisent l’utilisation du plastique tel que les sacs, les gobelets, les bouteilles et les produits micro-plastiques. Elle suggère encore que des mesures soient prises afin d’inciter les citoyens à remplacer les sacs en plastique par des sacs en tissu. Les gouvernements peuvent également prévoir une taxe et utiliser l’argent pour nettoyer les océans.
De grandes entreprises ont pris part à l’initiative. L’entreprise Dell spécialisée dans la technologie, a annoncé en février qu’elle utilisait du plastique recyclé pour l’emballage de ses produits.
D’autres annonces sont attendues à la Conférence mondiale sur les Océans qui se tiendra au siège de l’ONU à New York du 5 au 9 juin et réunira les responsables de gouvernements, les organismes des Nations Unies, des institutions financières, des ONG, des représentants de la société civile et du secteur privé, ou des universitaires, dans le but d’évaluer les défis, les opportunités ainsi que les mesures prises pour la réalisation de l’Objectif de Développement Durable 14.
Si chacun à son niveau choisit d’utiliser des sacs de course, des gobelets, des pailles et des bouteilles d’eau recyclables et de ne pas utiliser des produits de soins contenant de la matière micro-plastique, la menace sera repoussée. Aucune action n’est insignifiante.
Cet article est une publication d’ Afrique Renouveau , Edition Mai-Juillet 2017
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