Les experts du CIFOR répondent aux préoccupations régionales concernant les zoonoses.

Alors que la pandémie de COVID-19 se propage dans le monde entier, la Chine a interdit la chasse et la consommation de viande des animaux sauvages. La mesure est basée sur la théorie selon laquelle le virus s’est propagé d’une espèce animale, soit un pangolin ou une chauve-souris, à des personnes sur un marché de Wuhan. Mais si une interdiction de la chasse aux espèces sauvages était adoptée ailleurs, des millions de personnes dans des communautés autochtones ou rurales qui dépendent de la viande sauvage pour leurs protéines alimentaires seraient exposées au risque de malnutrition.

Dans ce contexte, deux experts du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), Robert Nasi, directeur général, et Nathalie Van Vliet, chercheuse associée, explorent les conséquences potentielles pour l’Afrique centrale, où la viande sauvage reste une partie importante de l’alimentation traditionnelle.

Viande sauvage au marché hebdomadaire de Yangambi. Photo : Axel Fassio/CIFOR

Le COVID-19 a mis en évidence la relation entre le commerce de la viande des animaux sauvages et la transmission des zoonoses. Pensez-vous que c’est une évolution positive ?

NVV : En fait, Il existe des preuves solides que ce n’est pas uniquement le commerce de « viande de brousse » qui contribue à l’émergence de zoonoses, c’est-à-dire à la transmission de maladies des animaux à l’homme. La déforestation, l’urbanisation croissante dans des zones auparavant isolées, et le développement de campements miniers et forestiers en pleine forêt, contribuent aussi à cette transmission. Et une grande partie des zoonoses provient des animaux domestiques (par exemple le virus Nipah) et non des animaux sauvages.

Il faut aussi préciser que ce n’est pas la consommation de viande sauvage qui pose des problèmes de transmission de zoonoses, mais plutôt la manipulation des animaux morts. C’est pendant le transport, découpe et préparation des carcasses que les possibilités de transmission sont les plus fortes.

Cela dit, l’attention accrue accordée à la viande sauvage nous donne une opportunité pour discuter de ce secteur si important pour la nutrition des communautés rurales.

En Afrique centrale, la consommation et le commerce de viande sauvage continuent d’être répandus. Pensez-vous que le COVID-19 va changer cette situation ? Et quelle sera la différence entre les zones rurales et urbaines ?

RN : Il y aura peut-être une baisse de la consommation de façon ponctuelle et pour un temps limité. L’épidémie d’Ébola de 2014, par exemple, a vu un arrêt de la commercialisation de la viande « de brousse » mais celle-ci a repris de plus belle depuis.

NVV : Je ne pense pas que le COVID-19 aura des impacts significatifs sur la consommation de viande sauvage dans les villages. Cependant, dans les grandes villes, c’est possible que le COVID-19 contribuera à la diminution de consommation de viande des animaux sauvages que nous observons déjà. Les jeunes générations urbaines voient la « viande de brousse » comme une pratique dépassée aujourd’hui par le désir de se nourrir à l’occidentale. Le COVID-19 pourrait donc accentuer cette tendance.

RN : En zone urbaine, les populations ont accès à des sources diversifiées de protéines locales ou importées ; mais en zone rurale, il n’y a guère que le gibier ou les poissons. L’élevage est quasi absent et bien souvent la viande de bœuf est trop chère pour les ménages ruraux. Donc même si les gens sont inquiets et conscients des risques, ils n’ont pas vraiment d’alternative.

En fait, cette pandémie est une opportunité pour les États d’en profiter pour mettre en place une véritable politique adaptée et différenciée entre les zones rurales, dépendantes de la viande d’animaux sauvages pour leur nutrition, et les zones urbaines où ce n’est pas un produit de première nécessité mais de luxe.

NVV : Il faut aussi bien distinguer entre les effets directs du COVID-19 et les effets des mesures prises pour réduire les risques de propagation de la maladie. Le confinement imposé peut avoir pour conséquence l’isolation de certaines zones rurales des marchés d’approvisionnement, notamment pour les produits venant de l’étranger (à cause de la fermeture des frontières et la limitation du transport). Cette situation peut se traduire dans des pénuries alimentaires qui auront alors comme effet un retour massif à la faune, au poisson et autres produits forestiers non ligneux pour l’alimentation.

Est-ce possible que les gouvernements de l’Afrique centrale augmenteront les restrictions sur le commerce de viande sauvage suite à cette pandémie ?

RN : Il existe déjà des législations très restrictives mais elles ne sont généralement pas mises en œuvre. Donc en rajouter une couche n’apportera guère plus si ces législations ne sont pas revues et adaptées aux réalités de terrain.

NVV : Je doute que les États de la région soient en mesure de mettre en application une plus stricte restriction sur le commerce de viande sauvage. Dans la plupart de pays d’Afrique centrale la filière se passe déjà dans l’informalité. Malgré les interdictions, la viande continue d’être vendue localement et aussi parcours des chaines de commercialisation parfois à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de provenance, dans l’indifférence ou l’incapacité de réponse des autorités.

Est-ce possible de consommer de la viande sauvage sans dangers du point de vue de la santé publique ?

NVV : Un aliment contribue à la santé, lorsqu’il est riche en nutriments, micro-nutriments et vitamines, et ne dépasse pas les doses admises en métaux lourds, matières fécales porteuses de nématodes, et virus ou bactéries présentes dans les tissus qui pourraient devenir des zoonoses.

Dans ce sens, la viande sauvage peut significativement contribuer de façon positive à la sécurité alimentaire si certaines précautions sont prises en compte :

  • Lors de la consommation, la viande doit être bien cuite pour éviter la transmission des virus, nématodes ou bactéries. En général, les plats cuisinés en milieu tropical sont toujours cuits très longuement, ce qui garantit qu’il n’y ait pas de risques à ce stade.
  • Pour éviter la présence de métaux lourds il faut s’assurer que les animaux n’aient pas pu être contaminés dans leur milieu naturel (par exemple, par le mercure utilisé dans l’orpaillage) et lors du transport, fumage et cuisson. L’utilisation du formol pour conserver les carcasses est très dangereuse, aussi que le fumage des viandes en utilisant des bois peints ou résidus industriels pour alimenter le feu. La cuisson doit se faire dans des casseroles en bon état.
  • La transmission de zoonoses se fait surtout lors de la découpe des animaux ou le transport depuis le lieu de tir jusqu’au village ou campement. Ce sont donc les chasseurs et les personnes chargées de préparer les carcasses qui sont les plus exposées au risque de contagion. Quelques mesures pour eux incluent le port de gants en cas de coupures ou blessures dans les mains, l’accès à l’eau pour se laver régulièrement les mains, et assurer régulièrement le nettoyage des outils de découpe.
  • L’accès à des vermifuges pour les animaux de compagnie (chiens et chats) est important pour réduire les contagions indirectes. En effet, les entrailles sont parfois données aux chiens (chiens de chasse en particulier), ce qui facilite la contagion de nématodes à ces animaux qui sont en contact permanent avec des personnes, y inclus des enfants.

Quelles sont les autres alternatives ? Pouvons-nous garantir l’accès des populations aux protéines provenant d’autres sources ?

RN : Très probablement en zone urbaine mais il faudra aussi faire extrêmement attention aux modes de productions. Remplacer la viande sauvage par de l’élevage industriel aura certainement un effet bénéfique sur la faune mais présente des risques graves en matière de santé humaine. Comme Nathalie l’a dit, la grande majorité des zoonoses viennent ou transitent par des animaux domestiques.

Ce sera plus compliqué en zone rurale du fait de l’absence d’infrastructures, mais ce n’est pas impossible. Bien sûr, il ne faut pas compter remplacer 5 millions de tonnes de « viande de brousse » consommées annuellement par l’équivalent en viande d’élevage d’un coup de baguette magique. Et rappelons-nous que la première cause de déforestation en Amazonie est l’élevage bovin extensif.

Les recherches du CIFOR montrent qu’au cœur du problème se trouve la destruction des habitats et la perturbation des écosystèmes. Comment le COVID-19 peut-il nous aider à sensibiliser l’importance de préserver les forêts ?

NVV : Comme nous l’avons dit précédemment, c’est surtout la destruction des habitats naturels qui amplifie les risques de transmission des zoonoses. C’est pourquoi, le problème des pandémies va au-delà de la consommation de viande sauvage. Il s’agit d’un problème bien plus grand qui est celui de la façon dont l’homme se comporte avec la nature de façon générale.

RN : Je voudrais juste ajouter que c’est une question d’équilibres naturels et un rappel des dangers créés quand ces équilibres sont bouleversés.

 

Source: Forests News ou Nouvelles des forêts. La version originale de cette entrevue a été publiée sur le site du Forests News ou Nouvelles des forêts

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