Non loin du village natal du Chef de l’Etat Camerounais, l’entreprise Sud Cameroun Hévéa, filiale d’Halcyon Agri – le géant mondial du Caoutchouc, a déjà dévoré plus de 10 mille hectares de forêt. Ce qui met en danger la réserve de faune du Dja inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et la survie des communautés riveraines.

Ndibessong, Eyeguele, et Zoumeyo, trois villages voisins, trois communautés parmi la trentaine la plus impactée par la culture d’hévéa, devenue la nouvelle arme de destruction massive de la forêt dans la région du Sud Cameroun. Une arme dégainée depuis 2011, par la multinationale Sud Cameroun Hévéa, plus connu dans la localité sous son acronyme SudCam.

Basé en plein cœur de la forêt équatoriale, à cheval entre les arrondissements de Meyomessala, Djoum et Meyomessi, SudCam a mis ses premières tiges d’hévéa à moins de trois kilomètres des communautés bantou.

En effet, à son installation au Cameroun en 2008, le mastodonte du caoutchouc décroche du gouvernement, un domaine de 60 mille hectares de forêts, environ trois fois et demi, la superficie de Yaoundé la capitale, pour cultiver l’hévéa. A l’époque, cette attribution va se faire dans des conditions surprenantes. Ni cahier de charge, ni étude d’impact environnemental. « Du côté de Ndibissong mon village, SudCam a détruit plus de 120 hectares de forêt », clame sa majesté Akoumba Akouma Fréderic, chef traditionnel du troisième degré du village Ndibissong,  situé dans l’arrondissement de Meyomessala.

Assis dans sa cour non loin de l’entrée principale qui donne accès aux champs d’hévéa, le garant de la tradition avec quelques-uns de ses notables, avec qui il partage ce soir-là, un verre de vin blanc sorti directement du palmier déterré dans la cour. Ils se rappellent de « leurs » forêts à chaque fois qu’un véhicule de l’entreprise sud Cameroun hévéa passe dans un sens comme dans autre.

Le patriarche Robert Zili Nkoulou du village Ndibissong, se remémore les années passées avant l’arrivée de SudCam dans son village.

« Quand SudCam s’est installée dans notre zone, nous ne connaissions pas sa force de frappe. Nous croyions que ça devrait être comme des simples sociétés qui font de l’exploitation forestière que nous combattons aussi. Parce que par le passé, il y en a souvent eu  ici chez nous. Elles exploitent certaines essences, mais laissent quand même d’autres. Et puis,  elles s’en vont sans détruire massivement la forêt comme ce à quoi, nous assistons ici depuis 2011 » s’indigne le patriarche  Robert Zili Nkoulou, un vieillard de 70 ans, assis dans un fauteuil, boubou kaki au corps, chasse-mouche à la main et béquille droite adossée sur mur

« Quand j’arrivais en mariage dans ce village vers les années 1981, étant ici à la maison, j’entendais les  singes crier là-bas en face. Autre chose, si mon enfant était malade, je traversais la route et je cherchais quelques écorces et feuilles de plantes pour soigner l’enfant. Mais aujourd’hui, on ne trouve plus rien ! La société à tout rasé. Nous n’avons plus rien !» S’exclame en larme, veuve Mengue Clotilde, ce matin du 27 juillet 2020 lorsque nous la rencontrons. Assise au coin du feu, sur un lit en bambous, dans une cuisine étouffée par la fumée, la dame décrit soigneusement en faisant une comparaison, le village vue d’avant SudCam, et celui d’aujourd’hui.

Avant que cette société n’arrive, la végétation était caractérisée par une mosaïque des forêts primaires, secondaires et des jachères peut-on résumer dans les déclarations de cette veuve de 65 ans. Elle ajoute, « J’avais mes champs là-bas en face. Mon mari avait  également ses pièges. On y trouvait une biodiversité végétale et faunique riche,  avec des espèces emblématiques telles que des éléphants, gorilles, chimpanzés » témoigne encore la veuve. Avant de conclure, que tout a disparu depuis 2011, faisant ainsi référence à l’installation du géant mondial du caoutchouc.

Dans la jungle tropicale, plusieurs campements de peuples autochtones de forêt Baka qui y habitaient depuis des siècles ont été déplacés au mépris de leurs us et coutumes. Première victimes des actions de l’industriel, les peuples autochtones Baka exigent en vain, la libération de leurs espaces vitaux. Une occupation que Marie Ba’ana, la directrice de l’ong locale  Apifed dénonce aussi « SudCam a coupé le cordon ombilical qui liait les pygmées à la forêt ».

Parcelle de forêt détruite par SudCam entre 2011 et 2019

Au Cameroun, des sources rapportent que le concessionnaire Singapourien a bénéficié de plusieurs d’exonérations fiscales à long terme, et même une protection contre les procédures judiciaires de la part du gouvernement camerounais. Ainsi, libre de toute action, la multinationale  va déboiser entre 2011 et 2018, plus de 10 mille hectares de forêt pour  créer  une plantation en monoculture de caoutchouc.

Conséquences

L’on estime que les émissions des gaz  causées par l’industriel SudCam suite à l’opération de déforestation seraient d’environ 11 millions de tonnes de CO2, un volume équivalent à celui qu’émettraient  60 000 wagons de charbon. Pour l’experte en écologie de l’environnement Valery Tsama, « le problème en Afrique est celui de l’exploitation durable des forêts. Il n’est pas interdit de déboiser la forêt, mais faudrait-il  encore pouvoir reboiser pour donner  une chance aux générations futures. Hors dans la plupart des pays, c’est n’est pas toujours le cas. De quoi être inquiet quand l’on connaît l’importance de la forêt dans la vie de l’homme et animale. La forêt empêche la dégradation des sols, lutte contre la dégradation des berges des cours d’eau, la perte de la biodiversité animale et végétale, la réduction des superficies des aires protégées, l’augmentation des gaz à effet de serre, avec pour conséquence la destruction de la couche d’ozone. Avec des implications sur des activités des communautés, pouvant créer l’insécurité alimentaire, la pauvreté, la recrudescence des maladies et même l’exode rural ».

Du coté de Greenpeace, le cri est aussi le même. Il faut limiter dans l’urgence ce désastre écologique  aux conséquences certaines sur la réserve du Dja inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987. Selon Sylvie Djacbou en charge de la campagne foret à Greenpeace Afrique « plus on va détruire les habitats naturels de la faune, plus les populations entrerons en contact avec des animaux. Car, faut pas oublier qu’il a été établi qu’il y a des maladies qui sont transmises à l’homme par des animaux. De plus, les actions de SudCam impactent négativement sur la réserve du Dja, aujourd’hui menacé par cette déforestation. La situation est alarmante !».

L’omerta !

Dans l’arrondissement de Meyomessala, les plaintes en lien avec la multinationale SudCam se limitent au cœur des communautés victimes des impacts directs liés à cette déforestation massive. Certes, la liste de ces griefs est aussi longue que des champs de plantations d’hévéa sont aussi vastes. Les communautés Bakas chassées de leurs terres sans moindre compensation financières se posent chaque jour des questions sur leur lendemain incertain. La forêt n’est plus celle des « pygmées », mais de SudCam qui y règne en maitre au milieu de ses hévéas et son latex.

Au village Ndibissong à Meyomessa, la plaque SudCam se trouve à l’entrée de l’usine de l’entreprise non loin des maisons d’habitation des communautés. Photo par: Jean Charles Biyo’o Ella

En plein cœur de cette petite ville aux rues propres et fleuries, tout comme au complexe situé en face de la résidence présidentielle de Mvomeka’a, et même dans les bureaux administratifs, le sujet Sud Cameroun Hévéa  semble être tabou et très délicat. « Ici, on ne sait pas qui est qui », murmure un responsable sous anonymat.  La raison est toute aussi simple, c’est le village du président.

Mais ici comme là, personne ne sait s’il y a une relation directe entre ce mastodonte de l’hévéa, fournisseur de matières premières pour les pneus aux géants mondiaux  Michelin, Goodyear, Continental ou encore Bridgestone et la famille présidentielle. Mais ce que l’on sait, c’est que « les véhicules de l’entreprise circulent ici en ville chaque jour », lance un autre responsable.

Pour avoir le cœur net, nous nous rendons dans les plantations pour rencontrer les responsables de la société.  Notre arrivée  à la première barrière est toute de suite alertée par trois agents de sécurité en poste. Apres cinq minutes de discussion avec leur hiérarchie, l’un des trois vigils revient vers nous pour nous signifier, que pour faute d’autorisation, nous ne sommes pas les bienvenus. De retour, à plusieurs reprises, nous enverrons des mails à l’entreprise via son adresse électronique  [email protected]. Silence radio.

Au ministère des forêts et de la faune en charge de la protection du patrimoine forestier camerounais et de toute la biodiversité qu’on y trouve, malgré l’exigence d’un protocole d’interview, nous n’obtiendrons malheureusement pas de suite favorable à nos questions, portant sur le point de vue du ministère, face à ces dénonciation de désastre forestier dans la région du Sud Cameroun.

 

Cette enquête a été réalisée grâce au soutien de Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center

 

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