Gabon : la forêt tropicale, un poumon sous pression

Avec ses 22 millions d’hectares de forêt tropicale, le pays dispose d’une biodiversité unique et de ressources inestimables. Comment les exploiter sans les épuiser ? Il suffit de survoler le Gabon pour comprendre ce qui forge son identité : l’immense étendue de forêt, qui couvre plus de 80 % de son territoire. Un patrimoine naturel […]

Avec ses 22 millions d’hectares de forêt tropicale, le pays dispose d’une biodiversité unique et de ressources inestimables. Comment les exploiter sans les épuiser ?

A lumberjack team at work on the felling of a giant Kevazingo tree in eastern Gabon in the concession given to Precious Woods. Harvesting is based on FSC (Forestry Stewardship counsel) principles of sustainable forest management which include directional felling as is applied here to minimizes the impact of the fall on the surrounding forest. Despite all the precautions lumberjack remains one of the most dangerous jobs in the world.

Il suffit de survoler le Gabon pour comprendre ce qui forge son identité : l’immense étendue de forêt, qui couvre plus de 80 % de son territoire. Un patrimoine naturel très convoité, tant il recèle de richesses encore inexploitées. Des ressources exceptionnelles que le Gabon a voulu sanctuariser. En 2002, Omar Bongo Ondimba mettait sous cloche 11 % du territoire, en créant treize parcs nationaux. Cinq ans plus tard, l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) était née pour veiller à leur sauvegarde. Camouflés dans leurs treillis, quelque 600 hommes sillonnent ces 2,94 millions d’hectares de forêt tropicale protégée, à la recherche des trafiquants de bois, des orpailleurs et des braconniers. Une surveillance récemment renforcée par un gigantesque satellite mis en place sous l’égide de l’Ageos (Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales).

L’exploitation illégale de ressources forestières, toujours d’actualité

Car sous l’épais manteau vert, l’exploitation illégale des ressources forestières se poursuit. « Il y a deux mois, plusieurs personnes ont été arrêtées pour sciage illégal de bois », explique Francis, écogarde du parc de Pongara, au large de Libreville. Mais ils ont été relâchés, « certainement parce qu’ils connaissaient quelqu’un », lâche le trentenaire.

Même constat amer chez les écogardes du parc d’Akanda, au nord de la capitale. « Nous avons engagé un bras de fer plutôt musclé avec un exploitant forestier : il avait un permis franchement étrange du ministère de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles, de la Forêt et de la Mer. Il a fini par partir, mais il a eu le temps de saccager plusieurs hectares », regrettent les gardes. Car un autre fléau menace la forêt gabonaise : la corruption, que l’État tente tant bien que mal d’endiguer. Les fonctionnaires du ministère de la Forêt en gardent d’ailleurs un souvenir cuisant. Fin novembre, des escouades de la Direction générale des recherches ont embarqué une quinzaine de hauts fonctionnaires pour trafic de bois précieux. L’ancien ministre, Nelson Messone, a lui-même été entendu, avant d’être relâché. « C’était comme dans les films : ils sont venus armés, ils ont perquisitionné tous les bureaux », raconte un fonctionnaire sous le couvert de l’anonymat. Dans ce climat délétère, les employés du ministère préfèrent garder un profil bas.

L’opération musclée avait été orchestrée en haut lieu. Flore Mistoul, nouvelle ministre de la Forêt, avait reçu des consignes : faire le ménage au plus vite. « Cela démontre les engagements du président en matière de lutte contre la corruption », estime Crépin Ngodock, son ministre délégué. Dans la foulée, Flore Mistoul a lancé un avertissement supplémentaire, décidant de suspendre l’exploitation de kevazingo, un bois atteignant des prix mirobolants sur les marchés asiatiques et donc très prisé des trafiquants.

Le danger de la surexploitation forestière

Des mesures prises pour préserver la forêt, mais aussi pour mieux l’exploiter. Alors qu’il voit fondre ses devises pétrolières, le pays a découvert qu’il était assis sur de l’or vert. Une richesse dont il espère désormais tirer parti afin de diversifier son économie, trop dépendante des cours de l’or noir. En 2010, le Gabon a ainsi décidé d’interdire l’exportation de grumes non transformées (des troncs d’arbres écimés). Il a ainsi mis fin à une activité très critiquée en raison de l’énorme gaspillage de bois qu’elle entraîne et, surtout, il a cessé d’être un pays d’abattage pour créer de l’emploi dans la transformation locale de grumes. La mesure avait alors été saluée.

Mais « en réalité, certaines scieries ont fermé, incapables de financer les investissements nécessaires à la transformation de leur activité. Leurs concessions ont été allouées à de grandes entreprises forestières peu transparentes », nuance Sandra Ratiarison, directrice technique du WWF Gabon.

Depuis, le pays poursuit sa diversification économique, tiraillé entre la défense de sa biodiversité et l’impérieuse nécessité d’atteindre l’émergence. « Le débat est là : comment le Gabon doit-il exploiter sa forêt ? » feint de s’interroger Crépin Ngodock. Car sa réponse est toute trouvée : « Tout le monde souhaiterait que nous la conservions, puisqu’il s’agit du deuxième poumon du monde [après l’Amazonie]. Face à ces inquiétudes, nous avons choisi de l’exploiter durablement, tout en transformant le Gabon en leader africain de l’huile de palme durable. »

« Nous devons être vigilants car nous voyons bien qu’avec la fin de l’ère pétrolière la pression sur la forêt s’accroît », s’inquiète Sandra Ratiarison du WWF Gabon.

Ces déclarations font bondir les associations de défense de l’environnement, alarmées à l’idée de voir proliférer ces plantations accusées de favoriser la déforestation. Les ONG ne sont pas les seules à s’en inquiéter : le conseiller spécial du président sur les questions environnementales, Mike Fay, tique aussi à l’évocation de ce choix. « Le Gabon va certainement augmenter la superficie de ses plantations de palmiers à huile, mais de là à se convertir au « tout-huile de palme, cela m’étonnerait », tempère le botaniste américain, qui a l’oreille du président sur ces questions.

Celui qui gère la réserve présidentielle de Wonga Wongué – le « Camp David gabonais », comme le surnomme Ali Bongo Ondimba – confirme tout de même le dilemme économique rencontré par les autorités. « Il y a un tiraillement entre l’exploitation et la préservation de la forêt : plus nous serons affaiblis à cause du pétrole, plus nous devrons diversifier l’économie, y compris forestière. Mais ça ne veut pas dire que nous allons tout raser ! »

En attendant, la forêt perd de sa valeur à mesure que le prix des essences de bois précieux s’envole sur les marchés asiatiques. « Les exploitants illégaux y vont au bulldozer : ils abattent tout pour trouver le bois qui leur rapportera le plus, comme le kevazingo, déplore Luc Mathot, de l’ONG Conservation Justice. On parle d’écrémage de la forêt. C’est-à-dire que les essences précieuses diminuent significativement, et avec elles la valeur économique de l’ensemble du territoire. »

Signe que la forêt aiguise les appétits, un nouveau code forestier est dans les cartons. Et devrait arriver devant l’Assemblée nationale fin mars, assure-t-on au ministère de la Forêt, qui annonce « un texte consensuel ». Ce n’est pas vraiment le qualificatif qu’emploieraient les organisations de la société civile, qui déplorent de ne pas avoir été consultées. « Il faut mettre tout le monde autour de la table : l’ANPN, le secteur privé, les forestiers, les populations locales, la société civile. Actuellement, ce n’est pas le cas, nous ne savons pas ce que contient le projet ! », critique Protet Judicaël Essono Ondo, coordinateur de l’ONG Brainforest. « Le processus est peu transparent. Nous devons être vigilants car nous voyons bien qu’avec la fin de l’ère pétrolière, la pression sur la forêt s’accroît », s’inquiète Sandra Ratiarison du WWF Gabon. Les débats s’annoncent enflammés.       

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