Pour la seule année 2017, les éco-gardes, la police et la douane camerounaise ont saisi au moins 600 pointes d’ivoire selon le bureau Afrique centrale du Fonds Mondial pour la Nature(WWF). Cela correspond à plus de 250 éléphants tués en 12 mois, sur près de 6mille éléphants dénombrés au Cameroun par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La plus récente opération s’enregistre en Décembre 2017 à Djoum, dans la région du Sud Cameroun, où des éco gardes saisissent 216 pointes d’ivoire. En Novembre 2017, la police saisit 158 défenses en ivoire dans la ville de Douala, porte d’entrée maritime du pays. Des mois avant, notamment en Mars 2017, des douaniers ont arrêté trois présumés trafiquants détenant 159 pointes d’ivoire à Bertoua, dans le Sud Cameroun.
Le nombre de saisies des pointes d’ivoire demeure élevé, ceci malgré l’incinération de plus de 2000 pointes d’Ivoire et 1753 objets dérivés à Yaoundé en Avril 2016. Une opération « coup de poing » contre le commerce illégal d’ivoire, menée par le Cameroun dans le cadre du Plan d’action national pour l’Ivoire (PANI). La même année, environ 290 pointes d’éléphants ont été saisies. Le réseau de trafiquants est bien ficelé et s’étend au-delà des frontières Camerounaises.
En huit ans, 66% de la population d’éléphants décimée.
Déclin d’éléphants en Afrique
Le spectre du massacre d’éléphants sur toute l’Afrique. « Les dernières saisies d’ivoire à Djoum, Douala et Kribi montrent clairement que le Cameroun devient un couloir de transit dans le commerce d’éléphants», arguent des responsables au ministère des forêts et de la faune. « Ces deux dernières années, on n’a enregistré aucun signe d’abattage d’éléphants dans les parcs nationaux situés entre les régions du Sud et de l’Est. A Kribi par exemple les ivoires saisies avaient été volés dans les magasins de stockage au Gabon. A la suite d’une panne de l’embarcation en mer les produits ont été récupérés par la marine camerounaise », explique Jean Robert Onana, Chef de Cellule de Communication du ministère des forêts et de la faune.
Sur le continent Africain, ces mammifères protégés par la convention CITES subissent les affres des braconniers en quête d’ivoire, comme le dénonce le rapport sur le statut de l’Éléphant d’Afrique de l’Union internationale pour la conservation de la nature(UICN) intitulé «African Elephant Statuts Reports ». D’après cette étude publiée en 2016, près de 111.000 éléphants d’Afrique, du nom scientifique « Loxodonta africana», ont été tués entre 2006 et 2015. Les estimations de l’UICN montrent que l’Afrique compte aujourd’hui 415000 éléphants, avec une marge supplémentaire comprise entre 117000 et 135000 éléphants dans des zones non recensées par l’enquête. Une chute drastique par rapport à la population d’éléphants estimée à 3 voire 5 millions au début du 20ème siècle. Des études montrent qu’environ 30.000 éléphants meurent chaque année à cause du braconnage.
L’Afrique Centrale au cœur du trafic
L’Afrique centrale figure parmi les régions les plus touchées par le massacre des plus grands animaux terrestres du monde. Le rapport de l’UICN indique qu’entre 2002 et 2011, l’Afrique Centrale a perdu 60% de sa population d’éléphants, soit entre 14000 et 26000 éléphants disparus. On y compte aujourd’hui 24000 éléphants, ce qui représente 6% de l’effectif total d’éléphants dans le continent noir. Le braconnage affecte les pays de l’Afrique Centrale, pourtant tous Parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES) qui depuis 1989, interdit le commerce international de l’Ivoire.
Dans cette partie du continent d’ailleurs, de récents inventaires fauniques réalisés par le Fonds Mondial pour la nature (WWF) ont montré que « les populations d’éléphants de forêt ont connu une baisse d’environ 66% en huit ans sur une superficie de près de 6 millions d’hectares». Le Cameroun, le Congo, la République centrafricaine et le Gabon sont les quatre pays concernés par ce Bio monitoring dont les résultats ont été publiés en Octobre 2017 à Douala. « On parle d’à peu près 18 mille éléphants perdus sur une dizaine d’années. Ce qui fait à peu près 5 voire 6 éléphants perdus par jour », indique avec regret Marc Languy, Directeur Général Adjoint chargé des bureaux de l’Afrique centrale du WWF.
D’après le Coordonnateur du programme de suivi écologique du WWF en Afrique Centrale, Paul Paul Ngoran, les chiffres sont particulièrement alarmants dans le segment Cameroun du paysage Tri-national Dja-Odzala-Minkebe (TRIDOM) où le nombre d’éléphants a diminué de plus de 70% en moins de 10 ans. Mais « il y a aussi des endroits où ces éléphants sont maintenus. Ce sont des zones d’aires protégées qui ont été bien gérées appuyées sur le long terme », souligne Marc Languy.
Comme l’évoquent de précédents rapports, la quête effrénée d’ivoire stimule les braconniers. « Le commerce de l’Ivoire qui est particulièrement le facteur qui incite au braconnage doit être aussi jugulé au niveau international. Des actions urgentes doivent être menées au niveau international pour fermer les marchés de l’Ivoire », recommandent des responsables du WWF Afrique Centrale. Dans un tel contexte, la concrétisation des promesses faites par la Chine arrive à point nommé.
La Chine se range
Avec un taux d’importation d’Ivoire autrefois évaluée à 70% de la demande mondiale, la Chine et sa région administrative spéciale Hong Kong, ne veulent plus être pointées du doigt comme responsables du massacre des éléphants d’Afrique. Le 31 Janvier 2018, le parlement de Hong Kong a voté pour l’interdiction progressive du commerce de l’Ivoire. Cette décision s’inscrit dans le même sillage que celle prise par la Chine. En janvier 2018, le premier importateur mondial d’Ivoire a affirmé avoir mis un terme au commerce de ces défenses d’éléphants, respectant ainsi un accord passé en 2015 entre l’ex président Américain Barack Obama et son homologue chinois Xi Jinping.
En Chine des opérateurs du secteur le savent déjà. « Les autorités chinoises continueront de sévir face à la collecte d’ivoire et à la transformation, aux ventes, au transport et à la contrebande de défenses d’éléphants », a précisé le ministère des Forêts chinois comme l’indique l’agence officielle Chine nouvelle. Ainsi, ajoute l’agence, « Les chiffres publiés par le gouvernement chinois montrent que cette décision affectera 34 entreprises de travail de l’ivoire et 143 points de vente, qui fermeront tous leurs portes ». Si la mesure est effective en Chine, à Hong Kong, elle sera progressive. D’après les parlementaires de Hong Kong, une première étape consiste à mettre fin à l’importation comme l’exportation d’Ivoire. Mais le commerce de ces défenses d’éléphants demeure et ne sera définitivement interdite sur le territoire de Hong Kong qu’en 2021. Toutes ces mesures visant à sauver les éléphants dont le massacre cause environ 25 millions de dollars de pertes de revenus touristiques chaque année en Afrique.
Miser sur la conservation
La mesure d’interdiction du commerce d’ivoire par la Chine réjouit des experts des questions fauniques. « Cela va peut-être contribuer à réduire les pressions, car la Chine était très demandeuse d’Ivoire », affirme Paul N’GORAN, Coordinateur du Biomonitoring au sein du programme Afrique Centrale du Fonds mondial pour la nature (WWF). Mais, ces mesures ne représentent pas l’unique solution. Au-delà de l’interdiction du commerce d’ivoire, mettre en place des stratégies efficaces de sauvegarde de ces espèces demeure le principal enjeu pour l’Afrique Centrale. Avant toute chose, affirme Marc Languy « il faut s’assurer que la forêt reste sur pied. Et pour cela il faut connaître la vraie valeur de la forêt ».
Le Directeur Général Adjoint chargé des bureaux de l’Afrique centrale du WWF considère aussi la richesse faunique comme une opportunité de développement pour l’Afrique Centrale. Et pour en tirer le meilleur profit, Marc Languy conseille de repenser les stratégies de sauvegarde. « Beaucoup d’aires protégées ont été classées par les gouvernements centraux. Ils ont leur place au milieu d’un paysage et contribuent au développement. En complément à ces aires protégées, il est opportun de songer à des aires conservées. C’est à dire gérées par les communautés locales », plaide Marc Languy.
Ainsi à côté du renforcement des actions de lutte contre le braconnage, des gouvernants doivent s’entretenir avec les populations locales, les peuples autochtones. Cette concertation permettrait de trouver des modèles de gestion de forêt qui favorisent la conservation, car plus d’un milliard de personnes dans le monde dépendent des forêts pour leur subsistance. Et c’est d’ailleurs l’esprit de l’Objectif du Développement Durable n°15 portant sur la vie terrestre. Ici, les Nations Unies appellent les Etats à s’attaquer au braconnage sous l’angle de l’offre et de la demande, en donnant aux populations locales d’autres moyens durables d’assurer leur subsistance.