Une enquête de fond pour essayer de comprendre pourquoi ce pays si écologiquement favorisé par la nature, ne parvient pas à couvrir ses besoins énergétiques en exploitant au maximum ses innombrables potentialités sur le plan des énergies renouvelables.
D’après des chiffres officiels, le Cameroun a une offre actuelle d’environ 1400 Mégawatts, sur une demande totale en énergie électrique de 3000 Mégawatts. Soit un déficit de 1600 Mégawatts, qui selon les experts va croître de 8% chaque année si des mesures idoines ne sont pas prises par les pouvoirs publics. Ce pays qui dispose du 2e potentiel hydroélectrique en Afrique subsaharienne après la RDC, évalué à 13 700 Mégawatts reste à la traîne sur le plan énergétique et parvient à peine à exploiter 10% de son potentiel.
«Malgré la réforme intervenue dans le secteur de l’électricité en 1998 et tous les efforts entrepris par les pouvoirs publics, le taux d’accès à l’électricité au Cameroun reste encore en deçà de la moyenne, soit 48%, avec des grandes disparités entre le milieu rural à 25% et 65% en milieu urbain » s’est exprimé récemment le Ministre de l’Eau et de l’Energie le Dr Basile Atangana Kouna.
En ville, l’on ne compte plus les nombreuses coupures d’électricité et des nuits passées dans l’obscurité même en plein Coupe d’Afrique des Nations féminine. Dans les villages, les paysans se débrouillent autant qu’ils peuvent pour tout au moins, recharger leurs téléphones portables.
Ava Kineke Honoré Ernest, paysan au village Ngat à 70 km à l’Est de Yaoundé s’indigne de la précarité qui découle d’une vie sans énergie électrique : « Nous n’avons jamais eu une once d’électricité dans notre village. J’ai acheté des petites plaques solaires vendues par les chinois qui me permettent d’avoir un peu de lumière pendant quelques heures la nuit, et d’écouter les informations à la radio. Je souhaiterais que l’Etat nous installe tout au moins des petites centrales solaires qui peuvent nous permettre de faire fonctionner des petits réfrigérateurs pour conserver de la viande ou du poisson. Nous ne pouvons pas varier notre alimentation, nous sommes obligés de manger des légumes ou des tubercules tous les jours. Les enfants ont du mal à étudier la nuit » déclare-t-il.
Le patronat camerounais a placé le déficit énergétique en tête des facteurs qui limitent le développement optimal des entreprises au Cameroun. C’est dire que la situation est préoccupante.
40% de perte d’énergie causée par la défectuosité du réseau de transport et de distribution
Des 1 400 Mégawatts de puissance installée actuellement disponible, 75% proviennent des énergies renouvelables avec en très grande majorité l’énergie hydro-électrique à travers les barrages construits dans le pays. Le Cameroun doit davantage s’investir pour augmenter son offre en énergie. L’option prise par les décideurs de s’appesantir sur la construction des centrales hydroélectriques est aussi critiquée car 40% de l’énergie se perd en chemin à cause du mauvais état du réseau de transport et de distribution.
Serge Henri Kelbe, spécialiste des énergies renouvelables exerçant à Douala à travers son entreprise Matrix Power, est formel : «Il y a une timide volonté politique de développer réellement les énergies renouvelables, et les habitudes ont la peau dure. Le Cameroun a misé sur l’hydroélectricité, les barrages, mais ce sont généralement des infrastructures lourdes qui nécessitent beaucoup de paperasse, il faut faire des études d’impact environnemental, il faut déguerpir les gens, etc. Nous sommes restés figés sur l’hydroélectricité, au lieu de rationaliser nos différents potentiels de production de l’électricité » explique t-il.
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Pour cet ingénieur formé à Québec au Canada, il est temps que le Cameroun puisse développer les autres types d’énergies renouvelables : « Il nous faut une politique qui régionalise l’exploitation de nos différentes ressources. Vous ne pouvez pas être à Douala, et produire de l’électricité pour la transporter et la consommer à Ebolowa. Il faut avoir une politique qui vise à rendre les communes plus autonomes énergétiquement, pour développer sur place des pôles de production de l’énergie dans les zones rurales. Dans le Septentrion, développons des énergies propices au solaire, à l’Ouest on peut développer les énergies de type éolien ou hydroélectricité, et dans le Grand Sud nous avons la Sanaga, le Nyong, et nous avons une grande plage qui va de Kribi à Limbé où l’on peut développer les éoliennes. Il nous faut une politique qui vise à adapter chaque région avec un type d’énergie pour qu’on ait moins de gaspillage, moins de perte au bout de la ligne. »
Absence d’une loi spécifique aux énergies renouvelables
Pour Bienvenu Essomba, président du Collectif Mégawatt, un regroupement des syndicats d’électricité au Cameroun : « Il y a une faiblesse des politiques à s’approprier les programmes stratégiques que les autres pays qui sont en but à l’épuisement des énergies fossiles ont commencé à implémenter. Ces pays sont obligés à s’attaquer à la problématique des énergies renouvelables parce qu’ils font face à l’épuisement des énergies fossiles. Ils n’ont presque plus du gaz, du pétrole, le charbon, etc. Mais nous ici, nous avons le bois. Avec le bois, on peut produire de l’électricité. A Sosucam, on jette de la mélasse de canne à sucre, alors qu’ailleurs on s’en sert pour produire de l’électricité. Avec des coques de palmistes, ou des noix de palmes entières, on peut produire de l’électricité. » Argumente t-il.
Pour cet ex-employé d’AES-Sonel, l’ancienne société nationale d’électricité, « la construction des barrages est la solution de facilité pour les décideurs ». Il incrimine aussi les partenaires financiers et les bailleurs de fonds. Pour lui, « les autres énergies renouvelables en dehors de l’hydroélectricité ne rapportent pas grand-chose à ces argentiers. Ils sont plus enclin à financer une centrale hydroélectrique qui coûte des centaines de milliards F CFA pour fructifier leur argent, au lieu de financer des centrales solaire qui coûtent 10 ou 15 milliards de F CFA. 100 milliards de F CFA peuvent servir à créer une multitude de centre de production d’énergie renouvelables » justifie-t-il.
D’après l’ONG Global Village Cameroun (GVC), qui a fait un état des lieux des énergies renouvelables au Cameroun en 2012, le Cameroun n’a pas une politique formelle avec un objectif précis à atteindre. La politique sur les énergies renouvelables reste diffuse. En plus, ce pays n’a pas encore une loi spécifique consacrée aux énergies renouvelables. Les énergies renouvelables sont régies par la loi sur l’électricité. Le cadre juridique et réglementaire reste à renforcer.
Plus de 2 millions de tonnes de bois de chauffe utilisés chaque année
Les réalisations sur les énergies renouvelables sont très souvent le fait des personnes privées, des communes, ou des entreprises à l’exemple de la société ferroviaire Camrail qui a doté presque toutes ses gares de plaques solaires photovoltaïques.
L’ONG suisse Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD) a vulgarisé des fours solaires pour la cuisson auprès des ménages des villages de l’Extrême-Nord Cameroun. L’expérience est concluante, mais l’adoption de cette technologie à une grande échelle nécessite des gros moyens que seul l’Etat peut fournir.
Les énergies alternatives utilisées sont par ordre d’importance le bois de chauffage, le gaz domestique, le pétrole lampant et le charbon de bois. Le bois est le combustible pour la cuisine de 70% de ménages. Cette proportion est de 92% de ménages en milieu rural. D’après le Ministère des Forêts et de la Faune, plus de 2 millions de tonnes de bois et 375 000 tonnes de charbon de bois sont utilisées chaque année au Cameroun. Les forêts sont surexploitées et se dégradent de plus en plus, surtout autour des grandes agglomérations comme Maroua, Douala, Yaoundé, etc. Ce qui entraîne une augmentation des températures, des inondations et une perturbation du calendrier des activités agricoles.
De nouveaux barrages et 166 mini-centrales solaires en gestation
A l’actif des pouvoirs publics, on peut citer la construction des barrages hydro-électriques qui se poursuit à travers le pays. Trois nouveaux barrages (Lom Pangar, Memve’ele, Mekin) apporteront une puissance supplémentaire de 246 Mégawatts en 2017, soit 17,5 % de l’offre actuelle.
La Société Nationale de transport d’électricité (Sonatrel) a été créée afin d’améliorer le réseau de transport et de distribution de l’électricité, et mettre fin aux pertes d’énergie.
Une direction des énergies renouvelables a été récemment crée au sein du ministère de tutelle.
L’état exonère de TVA le matériel importé pour l’installation des plaques solaires.
10 villages ont récemment bénéficié de l’éclairage public au solaire.
Pour le Ministre Basile Atangana Kouna : « L’avancée la plus significative est l’implémentation en cours, du projet d’électrification de 350 localités par systèmes solaires photovoltaïques, qui consiste à réaliser des mini-centrales de 30 à 200 kw avec l’appui financier et technique de Huawei. Le calendrier d’exécution prévoit que les travaux d’électrification des 166 premiers villages soient achevés en Juillet 2017. Les 166 mini-centrales coûteront 53 Milliards de F CFA et alimenteront 150 000 bénéficiaires» promet-il. La réception de la première mini-centrale a eu lieu le 29 Novembre dernier dans la localité de Ngang à une trentaine de km de Yaoundé.
Ces 166 ouvrages ne fourniront que 11,2 Mégawatts d’énergie verte, ce qui représente moins de 1 % du déficit énergétique actuel.
Une parfaite illustration de l’immensité de la tâche et du chemin qui reste à parcourir.