Michel Ngapanoun, directeur général d’Hysacam une société spécialisée dans la collecte des déchets au Cameroun, crie à l’arnaque. Il croyait faire un investissement rentable tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique. Il se retrouve avec des centaines de milliers de crédits carbone et pas à un acheteur à l’horizon. « Il faut sauver le MDP, il faut sauver Hysacam », exhorte le chef d’entreprise en s’interrogeant sur le sort de ses 5 000 salariés si personne ne lui vient en aide. Hysacam traite les ordures de seize villes au Cameroun.

MDP, pour Mécanisme de développement propre, est l’un de ces sigles barbares dont regorge la Convention des Nations unies sur les changements climatiques (COP) et derrière lequel se cache l’un des principaux instruments imaginés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il permet à une entreprise d’un pays industrialisé de financer un projet sobre en carbone dans un pays en développement afin de récupérer des crédits carbone qui lui permettront de respecter à moindre coût ses objectifs d’émissions. Cela peut être la construction d’une éolienne, d’un petit barrage hydroélectrique, une unité de méthanisation sur une décharge d’ordures… En principe, tout le monde est gagnant.

Ain Beni Mathar Integrated Combined Cycle Thermo-Solar Power PlantSauf que l’Afrique a raté le train. Quand elle a voulu prendre sa part des MDP, la Chine et les autres pays émergents avaient raflé toute la demande et, en Europe, seule zone à avoir mis en place un marché carbone susceptible d’absorber ces crédits MDP, les prix s’étaient effondrés.

« L’ONU n’a pas tenu ses engagements »

Muni de plaquettes d’information en papier glacé qu’il distribue à qui veut, le Camerounais désabusé raconte son histoire. « Quand le protocole de Kyoto est entré en vigueur en 2005, une campagne de sensibilisation a été menée au Cameroun, des consultants se réclamant des Nations unies sont venus nous vanter les bienfaits des MDP, et j’ai décidé de me lancer seul, explique-t-il. On me garantissait alors un prix de 11 euros la tonne et Orbeo, une société de courtage en crédits carbone, s’était engagée à me les racheter. Je me suis complètement fait avoir. »

Orbeo était alors une filiale de la Société générale à qui l’entrepreneur a emprunté une grande partie des 7 millions d’euros pour équiper d’unités de méthanisation ses deux sites de traitement des déchets de Yaoundé et de Douala. Lorsque le marché du carbone s’est effondré, Orbeo – qui depuis a mis la clé sous la porte – s’est retiré. Mais les deux unités de méthanisation continuent de produire 400 crédits carbone par jour, que, dans le meilleur des cas, M. Ngapanoun parvient à placer sur des marchés de compensation volontaire à 3 euros la tonne. « Grâce à mon projet, 300 000 tonnes de gaz à effet de serre ont été séquestrées au lieu d’être relâchées dans l’atmosphère. Mais l’ONU n’a pas tenu ses engagements », dénonce-t-il, presque encore surpris de constater que ce marché du carbone, qu’il croyait garanti par le protocole de Kyoto, se soit dérobé sous ses pieds.

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Beaucoup d’autres entrepreneurs se sont fait piéger. « Le Kenya a développé de grands projets dans la géothermie et l’éolien en intégrant une partie de leur financement sur des MDP. Aujourd’hui, nous avons les crédits, mais nous nous demandons où est passé le marché », témoigne Maurice Otieno, de l’Autorité nationale de l’environnement. Même écho en Zambie, dont le gouvernement a voulu stimuler la cogénération d’électricité à partir de la bagasse récupérée après la transformation de la canne à sucre. « Nous importons 100 % de notre énergie d’Afrique du Sud, c’était un moyen de diversifier nos sources d’approvisionnement et d’introduire de nouvelles technologies dans le pays », raconte Khetiswe Khumalo du ministère de l’environnement et du tourisme.

« Les investisseurs quittent le marché et les projets ne peuvent plus être menés à terme, analyse Adriann Tas, directeur de Carbon Africa, une société de conseil et de trading en finance carbone installée à Nairobi. Les Africains sont montés dans le train trop tard. La compréhension des règles du MDP, l’élaboration des projets a pris un temps fou. Maintenant, il n’y a plus de demande. » Les chiffres des Nations unies parlent d’eux-mêmes : sur les 7 681 projets enregistrés à travers le monde, moins de 3 % sont développés en Afrique.

Les promesses de la monnaie carbone

« Ce mécanisme était trop compliqué pour l’Afrique. Les Nations unies auraient dû très vite simplifier les règles et exclure les pays qui en avaient beaucoup profité pour laisser de la place aux pays les moins avancés », défend Gareth Philips, de la division changement climatique de la Banque africaine de développement (BAD).

Le MDP, est-il mort ? « Ce mécanisme n’a pas d’avenir dans le cadre du futur accord sur le climat. Chaque pays devra faire des efforts pour réduire ses émissions sans recourir à des méthodes de compensation dans un pays voisin », tranche l’expert de la BAD.

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La place des mécanismes de marché et de la compensation alimente en tout cas l’un des plus vifs débats de la COP21. Alors que la conférence joue les prolongations, cela reste un des points qui n’a pas été tranché. Quelle que soit la réponse, il est peu probable qu’elle apporte une solution rapide à Michel Ngapanoun et à tous ceux qui, en Afrique, ont cru un peu trop vite aux promesses de la monnaie carbone.

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