Les forêts tropicales et les tourbières abritent de rares réserves en « carbone irrécupérable » terrestres

Arlington, Virginia (29 novembre 2021) – Les tourbières et les forêts de la région congolaise d’Afrique centrale sont essentielles à la stabilité climatique mondiale, selon de nouvelles recherches réalisées par Conservation International, qui cartographient les endroits sur Terre que l’humanité doit protéger pour éviter une catastrophe climatique. Ces écosystèmes renferment ce que les chercheurs appellent du « carbone irrécupérable », des réserves denses en carbone qui, si elles sont libérées en raison de l’activité humaine, ne pourraient pas être récupérées à temps pour permettre au monde de prévenir les impacts les plus dangereux du changement climatique. 

La nouvelle carte mondiale, publiée aujourd’hui dans la revue Nature Sustainability, s’appuie sur une étude décisive qui a introduit le concept de carbone irrécupérable. Ces recherches révèlent que la moitié du carbone irrécupérable terrestre est fortement concentré sur seulement 3,3 % des terres, principalement les mangroves, les forêts anciennes et les tourbières, telles que celles de la région du bassin du Congo. Globalement, ces vastes réserves de carbone sont équivalentes à 15 fois les émissions mondiales de combustibles fossiles libérées l’année dernière. 

Selon cette étude, les forêts gorgées d’eau et les tourbières tropicales du bassin du Congo renferment 8,1 milliards de tonnes métriques de carbone irrécupérable, ce qui équivaut à plus de 20 fois les émissions annuelles de l’Afrique, et présentent certaines des concentrations les plus élevées de carbone irrécupérable dans le monde. Le bassin du Congo renferme 30 pour cent du carbone des tourbières tropicales mondial, aujourd’hui connu comme l’un des écosystèmes les plus irremplaçables de la Terre pour ce qui est de la sécurité climatique mondiale. 

Les chercheurs affirment que l’identification des écosystèmes contenant les plus grandes réserves de carbone irrécupérable aidera les gouvernements à concentrer les efforts mondiaux pour protéger 30 % des terres d’ici 2030. La conservation ciblée produirait des gains importants : les chercheurs ont établi que la protection de seulement 5,4 % des terres renfermant des volumes élevés de carbone irrécupérable, en plus du volume actuellement situé dans des zones protégées, empêcherait 75 % du carbone irrécupérable de la Terre d’être libéré dans l’atmosphère.

« Savoir que le carbone irrécupérable est concentré dans les tourbières et les arbres de cette région peut aider à guider la protection de ces écosystèmes que nous savons maintenant être essentiels au climat terrestre », a déclaré Monica Noon, scientifique de Conservation International et principale auteure de l’étude. « Lebassin du Congo abrite à lui seul 6 % de l’ensemble du carbone irrécupérable sur Terre, dont une grande partie est stockée sous terre, dans les sols. La science commence tout juste à comprendre l’étendue et l’importance de cette réserve massive de carbone. Nous nous trouvons à un moment clé pour l’action climatique : nous possédons la science et les solutions, et nous savons que des régions comme celles-ci sont essentielles à la stabilité climatique mondiale. »

Un rapport conjoint, également publié, révèle que bon nombre de ces zones de carbone irrécupérables chevauchent des régions à concentrations élevées de biodiversité, ce qui signifie qu’en protégeant les terres essentielles à la stabilité climatique, nous pourrions également préserver l’habitat de milliers d’espèces de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens et de reptiles. Le bassin du Congo, par exemple, est un milieu naturel particulièrement riche en biodiversité désigné comptant 9 750 espèces végétales, 698 oiseaux, 275 mammifères et 142 espèces de reptiles, y compris de nombreuses espèces emblématiques telles que les bonobos, les chimpanzés et les gorilles, qui vivent aux côtés des 8,1 milliards de tonnes métriques de carbone irrécupérable de la région. Ce rapport appelle à la création de « réserves de carbone irrécupérables », de nouvelles mesures de conservation axées sur une zone et conçues pour garantir que le carbone irrécupérable reste dans ces écosystèmes critiques. 

La tourbière de la Cuvette Centrale, située dans le bassin central du Congo, est l’un des écosystèmes les plus riches en carbone de la planète. Photographe: Simon Lewis/University of Leeds

Selon l’étude Nature Sustainability, les écosystèmes de carbone irrécupérable les plus importants et les plus denses, en plus du bassin du Congo, comprennent :

  • les forêts tropicales et les tourbières du biome amazonien (31,5 gigatonnes de carbone irrécupérable) ;
  • les îles d’Asie du Sud-Est (13,1 gigatonnes) ;
  • les forêts tempérées du nord-ouest de l’Amérique du Nord (5,0 gigatonnes) ;
  • les mangroves, les herbiers marins et les zones côtières sous l’influence des marées dans le monde (4,8 gigatonnes).

L’étude détaille également comment les zones de carbone irrécupérable vulnérables sont affectées par l’activité humaine et le changement climatique, et la quantité de carbone irrécupérable stockée dans les terres indigènes et protégées. En voici les grandes lignes :

  • Les écosystèmes tropicaux comme ceux que l’on trouve dans une grande partie du continent africain comprennent la majeure partie des sols terrestres qui sont « doublement irremplaçables », ce qui en fait des lieux hautement prioritaires pour la conservation de la biodiversité et l’atténuation du changement climatique 
  • Plus d’un tiers du carbone irrécupérable (46,7 milliards de gigatonnes) est stocké dans les terres reconnues par les gouvernements des peuples autochtones et des communautés locales ; 
  • Dans l’ensemble des écosystèmes, les concentrations les plus élevées de carbone irrécupérable se trouvent dans les mangroves (218 tonnes par hectare, en moyenne), les tourbières tropicales (193 t/ha) et les terres humides boréales (173 t/ha).

« Les conséquences de la libération de ce carbone stocké se feraient sentir sur plusieurs générations, en compromettant notre dernière chance de stabiliser le climat de la Terre à des niveaux tolérables pour la nature et l’humanité, » a déclaré Johan Rockström, directeur scientifique et codirecteur de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, l’un des leaders de la recherche sur le climat et le développement durable. « Nous devons agir maintenant pour protéger la capacité de la planète à constituer des puits de carbone, ce qui inclut la hiérarchisation de ces écosystèmes prioritaires uniques. » 

L’étude constate que rien qu’au cours de la dernière décennie, l’agriculture, l’exploitation forestière et les incendies de forêt ont libéré au moins 4 gigatonnes de carbone irrécupérable, équivalant à 5 % des émissions de combustibles fossiles d’origine humaine pendant la période. Les chercheurs ont observé que les menaces pour le carbone irrécupérable varient en fonction de l’écosystème et du lieu géographique, mais les risques imminents les plus répandus sont liés à l’abrogation des lois régissant les zones protégées qui réduisent ou éliminent les protections existantes, le développement ou le changement d’affectation des terres agricoles ou les événements inhérents au changement climatique, tels que les incendies de forêt ou les conditions météorologiques extrêmes. 

« Les pressions provenant de l’exploitation forestière industrielle et de l’extraction de minéraux représentent une menace directe pour cette région, considérée comme le deuxième poumon de la Terre (après l’Amazonie) », a fait savoir Monica Noon. « La modification des modèles de précipitations, exacerbée par le changement climatique, menace cette importante ressource d’eau douce qui capture de grandes quantités de carbone tout en fournissant de l’eau potable et des produits forestiers essentiels qui soutiennent les communautés locales. »

« Nous avons moins de dix ans pour réduire les émissions de moitié et empêcher notre climat et notre biodiversité d’atteindre un point de non-retour irréversible, » a déclaré Allie Goldstein, co-auteure de l’étude et directrice de la protection climatique de Conservation International. « La bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas encore atteint ce seuil. Il s’agit d’un scénario rare, dans lequel nous avons le temps et les informations nécessaires pour prévenir les catastrophes environnementales avant qu’elles ne se produisent. Nos recherches montrent que l’investissement dans les réserves de carbone irrécupérables est une approche gagnant-gagnant pour améliorer la santé de notre climat, la santé des espèces terrestres et, au final, la santé de l’humanité ».

Susan Cook-Patton, co-auteure du document et experte scientifique en restauration forestière auprès de The Nature Conservancy a déclaré qu’au vu du renforcement des engagements qui devront émerger lors de la COP organisée à Glasgow sous l’égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) cette année, cette carte mondiale offre un apport précieux à la boîte à outils scientifique à la disposition des décideurs des politiques climatiques. Il est particulièrement important que les gouvernements accélèrent la protection des réserves de carbone irrécupérable qui sont menacées de dommages irréparables imminents. Cette carte permet de localiser ces lieux géographiques avant qu’il ne soit trop tard. »

Pour garantir les bienfaits du carbone irrécupérable, les auteurs de l’étude recommandent de : 

  • soutenir les peuples et communautés autochtones, qui gèrent plus d’un tiers du carbone irrécupérable de la Terre, mais en faisant face à des menaces croissantes sur leurs terres ;
  • inverser immédiatement les politiques et pratiques qui menacent les dernières réserves de carbone irrécupérables restantes de la Terre ; 
  • élargir la surface de conservation des terres à carbone irrécupérable, en établissant des zones protégées et à travers les mesures de conservation menées par les peuples autochtones et la communauté ;
  • donner la priorité aux zones présentant des concentrations élevées de carbone irrécupérable dans les stratégies des gouvernements nationaux et des bailleurs de fonds multilatéraux, tels que le Fonds pour l’environnement mondial, le Fonds vert pour le climat et la Banque mondiale ; 
  • concevoir des pratiques de planification dans l’utilisation des terres qui soient exhaustives et collaboratives, en favorisant le développement durable et la résilience au changement climatique, telles que la gestion des incendies et des nuisibles et la protection des zones côtières et des zones humides d’eau douce, afin de réduire les inondations et les marées liées aux tempêtes. 

Pour lire l’intégralité de l’étude rédigée par des scientifiques de Conservation International, The Nature Conservancy, la Société pour la Conservation de la Vie sauvage (Wildlife Conservation Society), l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique et l’Université du Wisconsin-Madison, cliquez ici. 

Pour plus d’informations et pour consulter certaines cartes de l’étude, consultez la page d’accueil relative au carbone irrécupérable ici.

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