Depuis la mise en eau du plus grand barrage hydro-électrique du pays, des natifs de Lom Pangar peinent à trouver des ressources alimentaires.
« Edc nous a nourri d’espoir en nous promettant qu’après la mise en eau du barrage, nous aurons sérieusement du poisson, et à vil prix » se rappelle Faroukou Kombo, cultivateur dans le canton Képéré Deng Deng, village environnnant du barrage hydro-électrique de Lom-Pangar à l’Est Cameroun. « Mais quand nous partons au débarcadère, c’est à peine si les pêcheurs nous regardent », déclare t-il, l’air déçu.
Comme lui, des populations de la localité éprouvent désormais d’énormes difficultés pour s’approvisionner en poisson.
Depuis l’avènement en 2012 du barrage et du lac de retenue de 540 Kilomètres carré de superficie qui en a résulté, l’accès au poisson est devenu un véritable chemin de croix pour les consommateurs locaux. Habitués à faire la pêche dans les rivières, ils ne sont pas assez outillés pour mener cette activité dans les étendues plus profondes qu’ils considèrent d’ailleurs comme la mer.
« Les petits cours d’eau où les femmes pêchaient souvent pendant la saison sèche, tout est englouti par le lac là-bas à Ouami. C’est déjà comme la mer. Nous ne connaissons pas pêcher dans la mer », se lamente Jacqueline Assounga, tenancière d’un restaurant à Deng Deng.
L’activité de pêche dans le lac de Lom Pangar est essentiellement tenue par les pêcheurs venus du Nord du Cameroun : les Massa, les Mousgoum et les Kotoko – plus aguerris aux techniques de pêche dans les lacs de retenue. A ces groupes, s’ajoutent des pêcheurs de nationalité Tchadienne, Malienne et Nigériane résidant tous dans des campements de pêcheurs qui entourent le lac.
Selon nos investigations ces pêcheurs sont au service des financiers installés dans les grandes villes du pays. Ce sont eux qui contrôlent toute la chaîne de production. Ils achètent des pirogues des moteurs, des filets et bien d’autres matériels qu’ils mettent à la disposition des pêcheurs. C’est à eux qu’est destiné en priorité tout le poisson pêché du lac.
Au débarcadère de Ouami, les prix sont hors de portés des populations locales, obligées désormais de monnayer les services d’un démarcheur pour avoir accès au produit. « Ce lac est conditionné », nous lance Dieudonné Mekoudou 2ème notable du village Deng Deng. « Quand vous arrivez au bord, seuls les grossistes sont servis. Nous qui achetons pour la consommation domestique, personne ne s’occupe de nous. Parfois on nous chiffonne », ajoute le patriarche.
Une situation qui plonge davantage les habitants de Képéré Deng Deng dans la pauvreté, d’après les natifs de la localité. « Regardez comment le village est vide, même les petites filles qui se débrouillaient à vendre le poisson au bord de la route sont découragées », déplore Jacqueline Assounga.
« Aujourd’hui, quand vous arrivez ici à Deng Deng, la faim peut vous tuer. On misère ici. Cette activité permettait pourtant à ces petites filles d’envoyer leurs enfants à l’école. Tu achètes 3 petits poisson à 1100f, c’est pour avoir quel bénéfice ? Nous souffrons », déclare la commerçante.
Comme le poisson, la « viande de brousse » qui enrichissait l’alimentation des populations en protéine animales n’existe plus. Depuis la création du Parc National de Deng Deng en 2010, la chasse est interdite. Des natifs de Deng Deng, jadis habitués à consommer essentiellement de la viande sont quelque peu désemparés. « Ici, nous ne mangeons que la viande, nous ne consommons pas les légumes. Nous avions applaudi lorsqu’on nous a annoncé la création du Parc. Maintenant le Parc est venu nous tuer ! Nous n’avons plus de viande », déclare Jacqueline.
En outre, plusieurs habitants qui avaient fait du commerce de la viande de brousse leur gagne-pain quotidien sont aujourd’hui au chômage. Ils peinent à payer la scolarité de leurs enfants. « Même les deux directeurs se plaignent. Jusqu’à présent (Ndlr 14 janvier 2021), les parents n’ont pas encore payé l’école des enfants parce qu’ils étaient tous des pêcheurs et des chasseurs », explique Jacqueline Assounga.
A côté des impacts sociaux, le barrage hydro-électrique de Lom Pangar a entrainé d’importantes mutations environnementales dans cette zone jadis recouverte de forêt.
Plus de 6 millions de tonnes de CO2 émises
Selon l’atlas forestier du Cameroun, sur plus de 6 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) enregistrées dans la zone entre 2010 et 2018, environ 3 millions sont dues à la déforestation.
Dans la zone d’influence du barrage, des habitants constatent une forte augmentation de la température moyenne et une irrégularité des saisons depuis la mise en eau du barrage. Ils affirment que les pluies sont de plus en plus précoces, « ce qui perturbe le calendrier agricole dans toute la cuvette du barrage », souligne Cyrille Ngodja, un jeune cultivateur du village Képéré Deng Deng.
Crédit: Cette enquête a été réalisée grâce au soutien du Congo basin Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center
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