Développée et validée par les acteurs de la filière depuis quatre ans, cette stratégie n’attend plus que la validation politique pour être mise en œuvre.
Face à une vingtaine de journalistes à Douala l’année dernière, Durrel Halleson, Policy Coordinator du Bureau – pays Cameroun du Fonds Mondial pour la protection de la Nature (WWF) n’avait pas caché pas sa désolation, lorsque, il y a quatre ans, aux côtés des différents acteurs de la filière « Palmier à Huile » du Cameroun, il avait participé à l’atelier de validation du draft de la stratégie nationale de production du palmier à Huile. Ce jour-là, les acteurs de la filière avaient fait l’essentiel du travail.
Ils ont développé et validé le document qui devrait guider le pays dans le développement du palmier à huile. « Déjà quatre ans que cette stratégie a été validée par les parties prenantes. Après cette première étape de validation, la validation au niveau politique devrait suivre. C’est ce que nous attendons », lance le Policy Coordinator du Bureau – pays Cameroun du Fonds Mondial pour la protection de la Nature (WWF). Dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) le gouvernement classe pourtant le palmier à huile parmi les filières prioritaires porteuses de croissance et créatrices d’emploi. « C’est bien écrit dans le volet Développement Rural du DSCE : le palmier à huile fait partie des produits que le gouvernement veut valoriser », ajoute Durrel Halleson. De source introduite, la stratégie nationale de production du palmier à huile serait en cours de validation. En attendant, la filière tarde à produire de bons rendements.
La production nationale d’huile de palme ne réussit pas à combler la demande. « D’après des données officielles, la demande nationale en huile de palme se chiffrerait entre 400 mille et 450 mille tonnes. Mais pour le moment, le pays produit environ 300 mille tonnes d’huile de palme brute, soit un déficit structurel d’environ 130 mille tonnes d’huile de palme à combler », explique le Coordonnateur national du projet de développement du palmier à huile et de l’hévéa au Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Emmanuel Jonathan Ngom. Cette demande nationale en huile de palme inclut la consommation interne des ménages et l’approvisionnement des industries de deuxième transformation.
Diagnostic
Selon les acteurs de la filière, le manque d’huile de palme se ressent surtout au niveau des industries de deuxième transformation. « Les opérateurs de la deuxième transformation (savonnerie, huile végétale) ont besoin d’huile pour faire leurs produits. Et lorsqu’ils n’en reçoivent pas assez des petits planteurs, ils sont obligés d’importer de l’huile », affirme Durrel Halleson. L’ingénieur agronome du Minader quant à lui insiste sur la forte croissance de ces industries au fil des années. « En fait, ces industries de deuxième transformation ont développé beaucoup de capacités installées et en ce moment il faut bien que ces capacités soient utilisées. Or, la quantité d’huile disponible ne suffit pas ».
La faible production est en partie liée au faible rendement des plantations et cela depuis 2010. « De 2010 à 2017, le rendement moyen national à l’hectare de l’huile de palme est resté statique, soit 1,5 tonne d’huile de palme à l’hectare. Par contre, dans la même période, la demande annuelle nationale est passée de 230 000 tonnes à 450 000 tonnes, avec un déficit de production de 130 000 tonnes », note le WWF. La vieillesse des plantations et les mauvaises pratiques agricoles seraient à l’origine de ces faibles rendements. « Selon les normes, économiquement, une plantation de palmier à huile devient moins productive autour de la 35ème année d’exploitation. Mais au Cameroun, on trouve des plantations vielles de plus de 40 ans encore en exploitation. D’autres planteurs utilisent un mauvais matériel végétal ou ne fertilisent pas leur plantation», argue Emmanuel Jonathan Ngom.
Même après la récolte des régimes de noix de palme, de nombreuses pesanteurs persistent. Elles affectent surtout les petits planteurs. D’une part, de nombreuses pistes de collecte ne sont pas viables. D’autre part, les petits planteurs se ruent vers le moulin artisanal qui cause de grosses pertes d’huile. « Sur le plan technologique, le taux d’extraction de l’huile de palme au niveau du moulin artisanal évolue entre 12% et 15%, bien en deçà de la norme fixée qui est de 23%. Les moulins industriels se rapprochent un peu plus de ces standards avec un taux d’extraction d’environ 21% », précise Durrel Halleson, Policy Coordinator WWF Cameroun.
La durabilité, un défi à relever
Cet aspect économique amène le Coordonnateur national du projet de développement du palmier à huile et de l’hévéa au Minader à déclarer que la production du palmier à huile au Cameroun ne respecte pas les piliers d’une production durable. « La Production durable du palmier à huile renvoie au respect de trois piliers. Que la production soit économiquement viable, socialement viable et environnementalement viable. Aujourd’hui, la production du palmier à huile n’est pas économiquement viable compte tenu de notre faible rendement ». D’après l’ingénieur agronome, un bon niveau de rendement implique la régénération des vieilles plantations et la fertilisation des plantations dont les années d’exploitation respectent les standards. Pour augmenter le taux d’extraction d’huile chez les petits planteurs, le spécialiste du WWF, Durrel Halleson plaide pour le remplacement des moulins artisanaux par des petits moulins modernes ayant un fort taux d’extraction. Les pistes de collecte devraient aussi être aménagées pour faciliter le transport des régimes de noix de palme des plantations vers les unités de transformation.
Sur le plan social, Emmanuel Jonathan Ngom déclare que des conflits existent entre certaines grandes agro-industries et les populations riveraines. S’agissant de la viabilité au niveau environnemental, la production actuelle respecte quelques zones fragile, mais « c’est le développement ultérieur de la production du palmier à huile qui pourrait poser problème au Cameroun », souligne l’ingénieur agronome.
La stratégie nationale de production du palmier à huile développée par les acteurs de la filière propose justement ces pistes de solutions pour relever la filière. Ces récents mois, le Cameroun a fait des progrès. Classé premier producteur d’huile de palme en Afrique Centrale, le Cameroun a adhéré à la Tropical Forest Alliance 2020 (TFA2020) ainsi qu’à l’Initiative pour l’huile de palme en Afrique (APOI) en fin juillet 2018. Désormais membre de l’APOI, le Cameroun s’engage ainsi à respecter la Déclaration de Marrakech pour un développement durable de la filière huile de palme en Afrique signée par ses pairs à Marrakech le 16 Novembre 2016. Comme défis aujourd’hui, le Cameroun doit non seulement augmenter sa production et conquérir des parts de marché en Afrique, mais aussi de respecter ses engagements internationaux.
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