Cette ville située à trois heures de route de Yaoundé, au Cameroun, perd sa terre ferme à cause de l’avancée de la mer. A l’origine, les activités humaines, notamment l’extraction abusive du sable.
Messmin Massingo est un fils de Grand Batanga, localité de l’arrondissement de Kribi 1er. Pour arriver au centre-ville de cette ville qui est le chef-lieu du département de l’Océan, un des quatre que compte la région du Sud, il emprunte une moto et débourse au moins 1000 Fcfa, soit deux dollars US. Au fil des années, M. Massingo remarque que la mère s’est avancée vers le village. « On a l’impression que plus les années passent, plus la mer avance. Cette érosion a même fini par créer des cours d’eau, car lorsque les grosses vagues tombent sur la plage ça creuse le sol. Et si à proximité, il y a des petites sources stagnantes comme c’est fréquemment le cas ici, c’est un petit cours d’eau qui se crée et qui se jette directement à la mer », confie ce fils de Grand Batanga. Il pense que dans ce village, la cause est essentiellement naturelle qu’humaine. « Ici, nous sommes éloignés de la ville. Les camions ne peuvent pas venir jusqu’ici pour évacuer le sable. Donc on ne peut pas creuser. Le phénomène à notre niveau est essentiellement endogène et naturel », songe-t-il.
Dans cette partie du Cameroun, le pouvoir traditionnel a énormément d’influence. Les chefs restent impuissants face à l’avancée de la mer. « En plus d’être chef, je suis d’abord fils de la côte, donc un pécheur. Comme nos parents, nous vivons des produits de la mer. Le sable en est un. Beaucoup sont d’avis que l’action humaine a un impact sur les plages, du fait de l’extraction du sable. Ils ont peut-être raison dans la mesure où cela est fait de façon abusive. Mais il ne faut pas oublier que c’est d’abord un phénomène naturel qui existe depuis très longtemps. Mon grand-père, avant sa mort, relevait que, chez les Yassa (Campo), il s’observait une dégradation lente mais progressive des abords de mer. C’est juste plus accru de nos jours du fait du changement climatique. Et c’est vraiment grave .Et il faut qu’on fasse quelque chose », souligne sa Magesté Ecko Behondo, chef de 3è degré du village Wamié (arrondissement de Kribi 2ème).
Les autorités municipales et administratives ne sont pas moins anxieuses. « Je suis très inquiet de l’allure que prend ce phénomène d’érosion dans notre département en général. Dans villages comme Nziou, Londji, Eboudavae, il y a des espaces bien rongés. L’eau avance vers le continent à une vitesse exponentielle. Si rien n’est fait d’ici 10 à 15 ans, le goudron sera envahi. Il n’y a presque plus d’arbres. Tout est tombé parce que les racines sont rongées. Et quand un arbre se déracine, ça laisse des gros trous », décrit Guy Emmanuel Sabikanda, maire du deuxième arrondissement de Kribi. Selon ses dires, sa commune compte le plus de plages. Seulement : « A notre niveau nous n’avons pas les moyens de lutte. Je ne crois pas que même la communauté urbaine puisse en disposer. L’Etat seul peut agir. Tout ce qu’on peut entreprendre c’est des petites stratégies pour freiner la vitesse en attendant des solutions définitives », se lamente-t-il.
Mais son homologue de Kribi 1er semble plus informé sur l’avenir des plages.« Il n’y a pas que l’érosion, il faut aménager les plages car elles se meurent. La présidence de la république a un méga projet de réaménagement de toutes les plages de Kribi. Mais c’est les collectivités territoriales décentralisées qui seront chargées d’exécuter ce projet qui s’évalue en milliards de Fcfa. On ne sait pas quand est-ce qu’il prendra effet. Mais nous pensons que ce problème d’érosion sera définitivement résolu avec ce méga projet car un traitement particulier sera appliqué tant au large que sur la côte », se tranquillise Yves Martial Madiba, maire de Kribi 1er.
La population complice de la disparition de la côte
Il faut dire que les mesures prises par les autorités locales pour freiner l’avancée de l’érosion butent sur l’incivisme des populations au nom de la lutte contre la pauvreté. Parfois, le problème prend une tournure politique et sociale grave. Ce que regrette Jean François Manga, sous-préfet de Kribi 1er. « Le ministère en charge de l’environnement est compétent pour les cas de dégradation naturelle du sol. L’autre cas qui est dû à une main humaine, est de notre compétence. A une époque, mon prédécesseur avait interdit l’extraction de sable à certains endroits. J’en ai fait de même en prohibant totalement l’exploitation du sable à la plage, quel que soit l’endroit, et particulièrement dans les plages du centre-ville car elles constituent notre richesse culturel et touristique. Mais il apparait que les riverains sont entêtés. C’est eux qui sont là tout le temps à extraire les dérivés de mer, sous prétexte que c’est le seul moyen de gagner leur pitance quotidienne lorsque ce n’est pas la période de pèche. Quelque fois nous avons été rigides, et il y a eu comme des soulèvements. Notre hiérarchie nous prescrit alors de faire usage de la tolérance administrative. Cependant, la situation côtière de Kribi nous tient à cœur « , indique le sous-préfet.
« Il y a des gros bonnets de notre pays qui ont des chantiers partout en bordure de mer et qui commanditent l’activité d’extraction de sable. »
Quelles solutions pour la côte de Kribi
En novembre 2007, avec l’aide de certains partenaires comme le Fonds des Nations Unies pour le Développement et le Global Water Patnership Central Africa, le Cameroun avait rédigé sa stratégie nationale de gestion durable des eaux et des sols dans l’espace agro-sylvo-pastoral. Toutefois, sa mise en application reste une autre réalité.
Néanmoins, sur place dans l’Océan, les autorités en charge de la gestion de l’environnement essayent de tirer le diable par la queue. Michel Tsiangue, le délégué départemental de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable de l’Océan, dit comment il se débrouille. « Nous sommes en train de mettre sur pied avec l’apport de certains partenaires, un programme de lutte contre cette érosion côtière. L’idée consiste par exemple de construire des espèces de brise-vague qui amortiront l’action de l’eau au moment des marées hautes. Car c’est lorsque l’eau tombe avec force que le sol se creuse et cela influence les arbres fruitiers en bordure de mer », suggère-t-il.
En outre, il révèle d’autres activités nuisibles pour les plages. « Au large de la côte, des grands navires de forage qui déversent des produits chimiques néfastes pour nos berges. A la côte, les riverains, au quotidien, pratiquent le métier d’extraction de sable. Comment la côte ne sera-t-elle pas rongée avec cette pratique incessante? Si ça ne dépendait que de la nature la situation ne serait pas aussi critique. J’ai fait des rapports à ce sujet à ma hiérarchie. Moi je ne peux m’immiscer dans cette affaire vu qu’il y a des gros bonnets de notre pays qui ont des chantiers partout en bordure de mer et qui commanditent l’activité d’extraction de sable », souffle le délégué.