Bassin du Congo : La gestion des forêts vouée à l’échec sans la participation des communautés

Deuxième poumon vert de la planète, le Bassin du Congo attire de nombreux investisseurs mais des communautés autochtones restent très peu associées à la gestion de leurs ressources. « Il n’est pas toujours évident d’écouter la voix des communautés, en raison parfois de la multitude de voix. Le plus souvent, elles parlent différentes langues et il […]

Deuxième poumon vert de la planète, le Bassin du Congo attire de nombreux investisseurs mais des communautés autochtones restent très peu associées à la gestion de leurs ressources.

« Il n’est pas toujours évident d’écouter la voix des communautés, en raison parfois de la multitude de voix. Le plus souvent, elles parlent différentes langues et il ne leur est pas évident de participer aux échanges avec les autorités et les partenaires au développement», argue Christ Herbert, responsable du programme de politique forestière internationale et des initiatives internationales en matière de gouvernance forestière à la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ).

Des propos tenus au cours d’une conférence  organisée le 29Novembre 2018 à Bruxelles par l’ONG Fern, au lendemain de la 18ème réunion des parties au Partenariat des Forêts du Bassin du Congo.  Comme lui, certains acteurs du secteur forestier du Bassin du Congo brandissent des arguments similaires pour justifier le déficit de participation des communautés autochtones à la gestion des forêts.

Une analyse de la manière dont les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France et la Norvège ont fait un don en argent à des efforts d’atténuation du changement climatique dans les pays en développement depuis 1998 a constaté que la protection des forêts riches en carbone fait partie de ces grandes priorités des pays, selon l’étude publiée dans le Journal de la Finance durable et de l’investissement.

D’autres évoquent les difficultés de déplacement desdites communautés des zones forestières où elles résident, pour des capitales de pays en vue de prendre part aux rencontres de concertation. « Sur le papier on mentionne la participation accrue des communautés mais en fait ces communautés ne sont pas là. Elles ne sont pas là car, elles ne siègent pas dans des capitales. Elles ne siègent pas des lieux de discussion et leur parole est facilement confisquée», affirme Emeric Billard, chercheur indépendant et auteur du rapport « Bringing community forestry to the next level in the Congo Basin – a review of EU support to date ».

Pour Ghislain Fomou, chargé de programmes gestion des ressources au sein d’une organisation non gouvernementale basée au Cameroun, des espaces ouverts pour l’expression des communautés existent mais le contexte est difficile. « La participation passive des communautés est effective, mais celle active n’est pas une réalité. Il y a souvent une confusion entre les organisations qui accompagnent les communautés et les représentants des communautés. Certaines organisations ont souvent plus de voix et demandent plus d’espace même pour représenter les communautés », explique t – il. Les communautés en sont conscientes.

Venant Messe, président de la plateforme Gbabandi qui regroupe les différentes associations des populations autochtones du Cameroun, approuve ces constats. « On ne nous consulte pas pour savoir quelles sont nos aspirations réelles et nos réalités. Des décideurs préfèrent dire : ce sont nos gens, on connaît leurs problèmes. D’autres disent même ce sont nos pygmées », dénonce t – il. La voix des communautés autochtones, classées par les Nations Unies parmi les groupes humains les plus défavorisés dans le monde, peine à être écoutée dans le Bassin du Congo.

Pourtant, selon les pays de la région et les partenaires au développement sont tenus de respecter et veiller au respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits  des peuples autochtones qui stipule en son article 18 que « Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits ». Dans le Bassin du Congo, on dénombre des milliers de membres des communautés autochtones.

De récentes estimations montrent que le Bassin du Congo, deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie, s’étale sur environ 2 cent 40 millions d’hectares couvrant la République Démocratique du Congo, le Cameroun, la République Centrafricaine, la Guinée Equatoriale, le Gabon et la République du Congo. Les six pays réunis comptent plus cinquante millions d’habitants dont près de 7 cent mille sont membres des communautés autochtones, considérées comme « des gardiens de la forêt ». Répartis en 26 ethnies autochtones aux coutumes et langues différentes, ces communautés vivent en zone rurale, un grand nombre étant dans des zones forestières parfois enclavées et difficiles d’accès. Elles dépendent essentiellement des ressources naturelles pour leur survie. Or, avec la ruée des investisseurs forestiers dans la région, les communautés autochtones se voient privées d’une bonne partie des ressources de leurs forêts. Plus grave, elles ne sont pas associées à la prise de décision sur les politiques nationales voire régionales de gestion desdites forêts.  Pour essayer de réparer ce préjudice, les Etats de la région ont mis en place la foresterie communautaire.

Foresterie communautaire, un bilan mitigé

Les pays du Bassin du Congo expérimentent cette initiative depuis une vingtaine d’année, initialement dans l’idée de répliquer au niveau des communautés ce qui se passait dans les exploitations forestières industrielles. Les communautés se sont vues attribuées des parcelles dans lesquelles elles devaient exploiter du bois de façon durable pour améliorer leurs conditions. Mais des années de mise en œuvre affichent un bilan peu reluisant. « Une bonne pratique en matière de foresterie participative ou communautaire devrait conduire à l’amélioration des conditions de la forêt et à l’amélioration des moyens de subsistance des communautés qui gèrent cette forêt. Pour l’instant, les résultats sont encore en deçà des objectifs. De façon générale, la foresterie participative aujourd’hui ne permet pas encore d’atteindre ses objectifs aussi bien sur le plan des moyens de subsistance durable que des conditions de la forêt, on est encore très loin », déclare Jean-Claude Nguinguiri, Chargé de mission Forêts au sein de l’Organisation des Nations Unies pour la foresterie participative, l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pourquoi ce bilan mitigé.

La société civile du Bassin du Congo et des ONG internationales partenaires se sont démarquées par leurs dénonciations relatives aux limites de la foresterie communautaire telle que mise en œuvre dans la région. C’est le cas du rapport intitulé La foresterie communautaire au Cameroun : analyse diagnostique des lois, institutions, acteurs et opportunités, produite par les membres du consortium CoNGOs regroupant les communautés autochtones, des organisations de la société civile nationale et des organisations internationales. Publié en 2017, parmi les facteurs ayant participé à l’échec de la foresterie communautaire au Cameroun, il cite le cadre administratif et réglementaire, qui accorde une très faible superficie aux forêts communautaires. « Seulement 1, 18% de la superficie du Cameroun relève d’un régime foncier communautaire », indique le rapport. Cette faible superficie des forêts  communautaires s’observe dans toute la région.

En 2015 déjà, dans le rapport intitulé Repenser la gestion communautaire des forêts du Bassin du Congo, l’organisation internationale Rainforest Foundation UK rapportait que « Sur ces cinquante dernières années,  les terres du Bassin du Congo ont été attribuées majoritairement, et de loin, à l’exploitation forestière industrielle ». 20% de la superficie forestières de la région revient aux concessions forestières contre 0,17 % attribuées aux forêts communautaires.

Fondant son analyse sur les données de l’Evaluation des ressources forestières mondiales réalisée par la FAO, l’organisation basée à Londres dénombrait environ 50 millions d’hectares de superficie de concession forestières attribuées dans la région contre 414 mille hectares consenties aux forêts communautaires. En d’autres termes, la superficie des concessions forestières du Bassin du Congo est plus de 120 fois supérieure à celle de toutes les forêts communautaires réunies.

Des germes de l’échec se retrouvent aussi dans la conception de la foresterie communautaire. Et ce constat a été suffisamment adressé par des acteurs de la société civile ces dernières années, relève le consultant indépendant Emeric Billard. « Les acteurs de la société civile ont dit que le modèle tout-bois n’a pas fonctionné. Aujourd’hui on se rend compte que c’est un modèle difficile à répliquer. Cela a des implications en termes de coûts, équipements techniques, mise en place des plans d’aménagement. Ce qui est difficile à supporter et pas évident à mettre en œuvre pour les communautés». Ici encore la participation des communautés et la prise en compte de leurs aspirations fait défaut. « Nous avons aussi noté la persistance des approches descendantes alors que la foresterie communautaire devrait être le lieu par excellence de l’approche par le bas qui exprime les aspirations des communautés qui soient basées sur les capacités des communautés », déclare Emeric Billard.

Au niveau local, le consortium CoNGOs note des difficultés liées à la gouvernance communautaire. Pour ce qui est de l’engagement des partenaires au développement, le consultant indépendant Emeric parle d’un positionnement en demie – teinte. « On note un désengagement de certains acteurs qui s’explique par les incertitudes autour de la foresterie communautaire ». Le consultant constate tout de même « une évolution remarquable des bailleurs en faveur de la reconnaissance des droits des populations locales et de la clarification des systèmes sociaux ».

Réinventer la foresterie communautaire

La FAO demeure convaincue qu’il faut miser sur les forêts communautaires mais en remplissant des conditions précises. « la foresterie participative ou communautaire présente encore un potentiel important aussi bien pour protéger et améliorer le capital humain, mais aussi construire le capital social, constitutionnel et même améliorer le capital financier et les moyens de gestion durable », affirme avec conviction Jean-Claude Nguinguiri, Chargé de mission Forêts au sein de la FAO. Comme illustré dans la feuille de route de Brazzaville, document présenté durant les travaux du PFBC à Bruxelles en Novembre 2018, le chargé de mission forêts de la FAO utilise la métaphore de la porte.

Ainsi, six clés sont indispensables pour ouvrir la porte de la foresterie communautaire ou participative. Il s’agit de la sécurisation de la tenure foncière et forestière, la mise en place d’un environnement juridique favorable, une gouvernance forte au niveau local, la viabilité technologique, une connaissance adéquate du marché et l’appui administratif. Pour Jean Claude Nguinguiri, « tant que ces clés ne sont pas utilisées pour ouvrir cette porte toutes les autres initiatives de gestion durable des forêts auront de la peine à prospérer ».

Le consultant Emeric Billard, tout comme le consortium CoNGOs proposent d’enrichir le concept foresterie communautaire en la situant dans une dimension plus globale. « Faisant l’hypothèse d’une foresterie communautaire qui sorte du tout-bois et qui se diversifie, on peut alors envisager une foresterie communautaire qui sera endossée sur des enjeux beaucoup plus larges. Au-delà de la question de la pauvreté, elle pourrait se rapprocher de la lutte contre la déforestation ou la dégradation des forêts, l’amélioration de la gouvernance, la sécurisation foncière et partant des politiques d’aménagement du territoire ». Selon Emeric Billard, cette vision des acteurs de la société civile trouve un écho favorable auprès des gouvernements. « On a des cas d’appropriation de la thématique par les gouvernements notamment en RCA. La RDC dispose maintenant d’une stratégie nationale sur la foresterie communautaire qui embrasse ces enjeux de diversification et d’arrimage à l’aménagement du territoire ».

Au-delà des grandes théories, il est urgent de revenir à la base pour écouter les communautés autochtones. « Nous devons encore faire des efforts pour amener ces communautés à être présentes sur la table des décisions. Nous pouvons nous inspirer des bonnes pratiques de l’APV-FLEGT qui a permis à l’Etat, aux partenaires au développement et aux acteurs de la société civile de s’assoir sur la même table pour parler des questions de gouvernance forestière », soutien Christ Herbert, responsable du programme de politique forestière internationale et des initiatives internationales en matière de gouvernance forestière à la GIZ. Ceci induit d’aller à la rencontre des communautés autochtones pour mieux les comprendre leurs aspirations profondes. « Comment ces populations vivent dans l’environnement?  Comment évaluent-elles son potentiel? Comment s’identifient- elles à cet environnement? A partir de là quel chemin de développement possible voient-elles pour leur propre bénéfice et celui de l’environnement? », Autant de questions que suggère le consultant indépendant Emeric Billard.

Les jeunes de la région exigent des engagements plus contraignants pour garantir la participation effective des communautés. Marie Tamoiffo, jeune femme leader milite pour la gestion durable des ressources forestières du Bassin du Congo. « Dans l’évaluation des projets mis en œuvre dans le Bassin du Congo, il faudrait qu’on explique comment lesdits projets ont fait participer les communautés à chaque étape du processus».

Le Bassin du Congo et ses partenaires ont tout intérêt à créer un environnement favorable à la participation effective des communautés autochtones à la gestion forestière. Ces communautés qui ont longtemps préservé la forêt, peuvent apporter une contribution pertinente à la gestion durable des ressources et l’atteinte de l’Objectif du développement Durable N° 15 concernant la vie terrestre.

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