Depuis l’arrivée de l’agro-industrie SUDCAM dans leur forêt, ces gardiens de la forêt tropicale du Bassin du Congo sont privés d’un de leurs principaux rites traditionnels, le « njengé ».
Vendredi 3 janvier 2020, il est environ 12h. A 200 kilomètres de Yaoundé, la capitale politique du Cameroun, un soleil de plomb brille dans le village Bitye par Meyomessala. Situé dans le département du Dja et Lobo, région du Sud, il faut près de trois heures de voyage pour rallier la localité à partir de Yaoundé, avec des moyens de locomotion allant du car de transport en commun à la moto en passant par de vieux taxis.
Ici, vivent environ 50 Bakas, une communauté des peuples autochtones bien implantée dans les régions forestières du Cameroun. Malgré les consignes de leurs leaders, la déception se lit sur les visages des membres des communautés Baka de Bityé dès qu’on évoque le nom SUDCAM, (Sud Cameroun-Hévéa S.A). Cette société a acquis de vastes étendues de forêt aux alentours de la Réserve du Dja ainsi qu’à Djoum, un autre arrondissement du Dja Et Lobo regroupant une forte communauté de Baka.
« Entre 2008 et 2015, le gouvernement Camerounais a octroyé plus de 75 mille hectares de forêt tropicale dense à SudCam pour la création de plantations d’hévéa et de caoutchouc », précise un rapport de l’organisation non-gouvernementale (Ong) Appui à l’Auto Promotion et l’Insertion des Femmes, des Jeunes et Désoeuvrés » (APIFED) et Greenpeace. Chez les Baka du village Bityé, jadis propriétaires des forêts, des leaders communautaires affirment avoir été mis face aux faits. « SUDCAM est arrivé sans une consultation préalable des communautés autochtones. Il y a eu des rencontres à minuit avec certains chefs bantous qui auraient reçu 50.000Fcfa chacun. Lorsqu’il a fallu voir les Bakas, on leur donnait 100.000Fcfa pour cinq villages », regrette Jean Jacques Ebo’o, président de l’Association des Bakas de Meyomessala et de ses environs (ABEDEM).
APIFED et Greenpeace rapportent la même information. « Alors qu’en 2008, le gouvernement camerounais a alloué à Sudcam deux lots initiaux représentant une surface totale de plus de 45 000 hectares, des témoignages de membres des communautés baka d’Edjom et de Bitye indiquent que celles-ci n’en ont été informées que quatre ans plus tard, sans que leur accord ne leur ait jamais été demandé », indique le rapport publié par les deux ONG en Novembre 2019.
Destruction de la forêt sacrée
Sudcam est gérée par Corrie MacColl, filiale du caoutchouc naturel du groupe Singapourien Halcyon Agri, spécialisé dans la production du caoutchouc. « 20% des parts de Sudcam seraient détenus par des Camerounais». Pour installer ses plantations d’hévéa, « entre 2011 et fin 2018, Sudcam a dévasté plus de 10 milles hectares de forêt tropicale dense, soit une surface correspondant à la superficie de Paris. On estime que les émissions liées à cette déforestation s’élèvent à 11 millions de tonnes de CO2, un volume équivalent à celui qu’émettrait la combustion de 60 000 wagons de charbon», précise l’étude de Greenpeace et APIFED. La présence de l’agro-industrie n’a pas épargné le domaine de la conservation des espèces fauniques. « L’exode rural causé par Halcyon Agri a intensifié le braconnage des espèces menacées près de la réserve du Dja, classée patrimoine de l’Unesco ».
Selon des Bakas rencontrés dans leurs campements à Bitye et à Edjom, si les Bantous ont été ménagés dans cette occupation, les pygmées ont tout perdu. « Ils ont détruit tous nos campements obligeant nos totems à s’éloigner. Aujourd’hui, en plus de ce que nous ne pouvons plus chasser et faire de la cueillette librement, il nous est impossible de faire nos rites habituels », argue Parfait Yemele, un des leaders de l’ABEDEM.
Le jeune leader Baka dit avoir pris conscience de l’impact négatif de l’implantation de Sudcam dans leur communauté au cours du premier festival « Forêt Dense » organisé par les peuples autochtones Bakas à Djoum. « Le njengé est désormais gardé à Djoum. Nous n’avons pas un espace sûr pour le loger. Il a besoin de calme », dit-il.
En fait, révèle Jean Jacques Ebo’o, «le njengé » intervient dans des cérémonies rituelles de purification, de protection de la communauté. Il est aussi invoqué pour guérir certaines maladies que les herbes, les écorces et les racines ne peuvent guérir. Il apporte la prospérité et les bénédictions aux fils et filles des campements ». L’absence de ce compagnon fidèle des communautés Baka pénalise la bonne marche de la société et aggrave la violation de leurs droits due à l’implantation de Sudcam. « Nous n’avions pas eu le droit de nous exprimer comme nos frères Bantous qui se sont permis d’organiser, en guise de protestation, des sit-in pour boycotter le travail dans l’entreprise », ajoute M. Ebo’o. Il relève néanmoins que grâce à l’encadrement des organisations de la société civile, l’agro-industrie a accepté de les rencontrer pour la première fois en Novembre 2019 après la création de leur association ABEDEM.
Des pistes de solutions
La première rencontre entre l’agro-industrie et les communautés riveraines à Sudcam est le fruit des nombreuses pressions de la société civile sur le groupe Halcyon Agri et sa filiale Sudcam. En Janvier 2018, Greenpeace donne l’alerte sur ce cas déforestation massive et d’abus des droits des communautés dans le Bassin du Congo. Rainforest Foundation UK et Mightyearth s’y mettent aussi. En réponse aux nombreuses critiques, Halcyon Agri Corporation rend publique sa politique de chaine d’approvisionnement durable du caoutchouc naturel en Novembre 2018. En Décembre 2018, elle a décidé de cesser le défrichage et l’abattage d’arbres au sein de sa concession Sudcam. En Avril 2019, l’agro-industrie dévoile la liste des membres de son Conseil Camerounais de développement durable dont la mission est d’assurer le monitoring de la politique de chaine d’approvisionnement durable du caoutchouc naturel du groupe Halycon Agri.
Aujourd’hui, grâce au soutien de Greenpeace et Rainforest Foundation, APIFED a vulgarisé la cartographie participative dans les communautés autochtones. « Elle a consisté à retracer leur vie, des temps anciens jusqu’à ce jour. En lien avec Sudcam qui était en train d’arriver. On les amène à ressortir la façon dont ils vivent et ce qui les entoure on fait ce qu’on appelle la carte au sol », situe Marie Ba’ane, coordonnatrice de APIFED. Pour la coordonnatrice d’APIFED, ce travail vise à renforcer la collaboration entre Sudcam et les populations riveraines, particulièrement les peuples autochtones qui ne demandent pas grand-chose par rapport à ce qu’on leur a arraché.
Joint au téléphone, M. Foumane, un des responsables à Sudcam s’est gardé de tout commentaire. Mais, selon des informations glanées par InfoCongo, depuis Novembre 2019, l’entreprise a entrepris des démarches pour documenter l’impact de leurs activités. A cet effet, « il y a eu une mission préparatoire à une descente des équipes de Corrie MacColl et de la Chambre de commerce des métaux, des importations et des exportateurs de métaux (CCCMC) au Cameroun du 10 au 17 novembre 2019. Suite à un consensus entre Corrie MacColl et CCCMC, le Cameroun a été identifié pour un projet pilote sur la mise en conformité et la mise en œuvre des Directives de la CCCMC sur l’hévéa naturel durable », peut-on lire dans la lettre d’information parvenue à InfoCongo.
De source introduite, « la mission avait pour objectifs de mieux comprendre la situation des plantations de Corrie MacColl (SudCam et Hevecam) et le contexte camerounais ». Il était aussi question « de procéder à un examen préalable de la politique et des normes de la société Corrie MacColl par rapport à la Directive du CCCMC sur l’hévéa naturel durable, et développer une feuille de route définissant les étapes à suivre pour le test pilote et le projet de démonstration, les rôles de chaque partie prenante et les recommandations sur les prochaines étapes », confie notre source qui a requis l’anonymat.
Tout ceci suscite l’espoir des communautés Baka à qui Sudcam a promis une superficie de 700 hectares pour leur recasement. « Nous leur faisons confiance parce que depuis peu, ils nous considèrent aussi comme des hommes et ils ont promis d’échanger dorénavant avec nous plutôt qu’avec des Bantous sur les problèmes de notre communauté. Et si ce terrain nous est remis, nous irons chercher le njengé de Djoum pour le loger dedans et recommencer avec nos rites », se réjouit Parfait Yemele.
Le Cameroun a voté et adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones le 13 septembre 2007. Ce pays représente environ 10% du Bassin du Congo, dont les forêts abritent une riche biodiversité, contribuent à la survie des populations locales et participent à la régulation climatique. La plantation de monoculture d’hévéa Sudcam se trouve dans une zone qui abrite une aire protégée de faune de portée mondiale, des communautés autochtones de forêt, un barrage hydro-électrique et bien d’autres projets d’exploitation des ressources. La forte présence d’investisseurs dans les zones forestières du pays pose un sérieux problème de gestion des ressources naturelles.
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