Des communautés forestières du Littoral et la société civile restent en alerte, bien que le gouvernement ait suspendu les plans d’exploitation de la forêt d’Ebo.
Au 18 Août 2020, la pétition de Greenpeace pour la protection de la forêt d’Ebo totalise plus de 26 milles signataires et reste en cours. Pourtant, le gouvernement Camerounais a décidé de suspendre les plans d’exploitation de la dite forêt, suite aux multiples pressions des communautés Banen et des organisations environnementales.
D’après le communiqué du Premier Ministre Camerounais publié le 11 Août 2020, le gouvernement a retiré sa décision de classement de 68 mille hectares de forêt d’Ebo, en Unité Forestière d’Aménagement (UFA). D’autre part, il a suspendu la procédure de transformation de 65 mille hectares de forêt en UFA.
Un ouf de soulagement pour les communautés Banen et les organisations de conservation qui depuis Avril 2020, s’opposent au processus de création des concessions forestières dans cette zone proposée pour être un Parc National. « Nous nous félicitons de la suspension, pour l’instant, des plans d’exploitation de la forêt d’Ebo, mais exprimons des craintes concernant l’incertitude qui demeure sur son sort », précisent dans une déclaration commune, Victor Yetina, l’un des chefs Banen et Docteur Ekwoge Abwe, Directeur d’Ebo Forest Research Project du Zoo de San Diego.
Après la vague de joie, place à la prudence. «Le Premier Ministre a annoncé la suspension mais pas l’annulation des plans d’exploitation dans la forêt d’Ebo », précise l’organisation environnementale Greenpeace. Le combat continue, avec de nouveaux objectifs à atteindre pour les leaders. « Cette décision du Gouvernement doit être le premier pas vers une reconnaissance des droits du peuple Banen et la protection de la forêt », ajoutent le Chef Victor Yetina et Docteur Ekwoge Abwe. Greenpeace et Rainforest Rescue s’inscrivent dans la même lancée. « La menace sur la forêt continue et pour ce faire, nous continuons la pétition jusqu’à ce que les droits des communautés soient sécurisées et que la forêt d’Ebo soit protégée de façon définitive », peut-on lire sur le site de la pétition.
La forêt d’Ebo couvre 140 mille hectares de forêt et près de 40 communautés locales Banen en dépendent pour leur survie. A leur grande surprise, en Février 2020, elles ont appris que le Ministre des Forêts avait signé des ordonnances de classification d’une partie de leurs terres ancestrales en concession pour l’extraction du bois.
Aussitôt, elles se sont organisées pour dire non. « Tout au long de ce processus on a eu plusieurs sons de cloche. Une partie des communautés n’était pas d’accord qu’une partie des terres de leurs ancêtres soit transformée en Unité Forestière d’Aménagement. Cela remettait donc sur la table la question de la participation des communautés que prévoit la loi forestière de 1994. Le consentement a été vraiment difficile à obtenir auprès des communautés. Je crois que c’est l’une des choses qui aurait amené l’administration à réviser sa position », affirme Justin Kamga, Coordonnateur de l’ONG Forêts et Développement Rural (FODER).
35 millions de tonne de carbone
Pour le FODER, comme beaucoup d’autres organisations environnementales, envisager un projet d’exploitation forestière dans la forêt d’Ebo, c’est « signer l’arrêt de mort des espèces en danger d’extinction qui vivent dans cette forêt et accroître le dérèglement climatique».
Habitat de primates en voie de disparition, comme les gorilles, les chimpanzés et les colobes roux, la forêt d’Ebo est « un écosystème d’une importance mondiale », selon des organisations de conservation. Cette forêt de la taille de Londres fait partie des Aires protégées de faune délimitées sur l’Atlas Forestier Interactif du Cameroun. Elle s’étale sur 141 mille hectares et est décrite comme un Parc National au statut non aménagé.
Selon Global Forest Watch, la forêt d’Ebo dispose d’une capacité de capture de 35 millions de tonnes de carbone et renferme l’un des derniers paysages forestiers intactes au monde. Ainsi, la destruction de la forêt d’Ebo « aggraverait la crise climatique», car cette forêt « représente la moitié de la Zone clé pour la biodiversité de Yabassi, ce qui en fait un site d’importance mondiale pour la santé globale de la planète », note Global Wildlife Conservation. Ces organisations appellent le Cameroun à respecter ses engagements internationaux en matière de conservation de gorilles. Elles s’appuient notamment sur la loi signée le 20 Juillet 2020, qui autorise le Président de la République à ratifier l’Accord international sur la conservation des gorilles et leurs habitats.
La forêt d’Ebo subit déjà d’énormes pressions, telles que « le braconnage et l’exploitation illégale des forêts », déclare Docteur Ekwoge Abwe. L’analyse des données satellitaires montre que « de 2013 à 2019, la forêt d’Ebo a perdu 343 hectares de forêt primaire, ce qui équivaut à 110% de sa perte totale de couverture forestière dans la même période ».
Conservation ou exploitation forestière
Depuis 2006, les communautés Banen et le Ministère des forêts et de la faune sont engagées dans le processus de transformation de la forêt d’Ebo en Aire Protégée. Comment comprendre que le gouvernement ait envisagé des projets d’exploitation forestière sur ce même site ? « Il se pose un sérieux problème car pour les autres forêts qui ont été érigées en Parc National, on est en droit de se poser la question quelle a été leur plus-value dans l’économie nationale et leur impact sur le volet économique et social et notamment sur les communautés qui vivent autour de ces parcs. C’est sûrement en se rendant compte que la conservation n’apportait rien dans les caisses de l’Etat que l’administration a voulu transformer cette forêt en UFA. Seulement, l’exploitation forestière pourrait rapporter de l’argent mais entraîne aussi des dégâts sur la biodiversité et sur les communautés », argue Justin Kamga.
Dans le Bassin du Congo, qu’il s’agisse des UFA ou de la conservation, divers rapports montrent que les droits des communautés riveraines à, aux zones desdits projets, sont souvent violés. Ainsi, poursuit le spécialiste en gouvernance forestière, « sur le chemin de classer la forêt d’Ebo en Parc National, il faudrait penser à une approche-paysage qui mette vraiment les communautés au cœur de ces projets afin que tout ce qui est développé contribue à améliorer leurs conditions de vie ».