A Douala, des projets de préservation des mangroves se heurtent à la faible adhésion des populations et à l’insuffisance des moyens financiers.

Bonabéri, Cameroun. Sur les rives du fleuve Wouri, les mangroves des ilôts disparaissent à petit feu. Par endroit, les arbres ont été coupés et dissimulés dans la végétation apparente. « Les auteurs de la déforestation sont en train de pénétrer les zones jusque-là intactes », déplore Chi Napoléon, coordonnateur national de Watershed Task Group (WTG), une organisation non gouvernementale (ONG) qui milite pour la protection de l’environnement au Cameroun. D’après le plus récent rapport sur l’état de lieux des mangroves du Cameroun, les forêts de mangrove intactes diminuent au fil des années. A Douala, la superficie des forêts de mangrove intactes est passée de 9000 hectares à 4000 hectares entre 2000 et 2015. 

Dans les zones côtières, la mangrove constitue une barrière contre les inondations de forte intensité. D’après l’Atlas des Mangroves du Cameroun, l’estuaire du Cameroun a perdu 14% de sa superficie de mangrove en quinze ans. Entre 2000 et 2015, la superficie des terres de mangroves et  forêts côtières  est passée de 106 mille hectares à 99 mille hectares. Dans le Wouri, la mangrove située à Bonabéri est la plus décimée avec plus de 6% de taux de destruction par an. « Un jour, Douala va se retrouver dans l’eau, parce que la barrière naturelle qui le protège contre les inondations aura disparu », alerte Edouard Yagouda, le Délégué Régional de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable (Minepded) pour le Littoral.

Chi Napoléon est du même avis. Depuis une vingtaine d’années, il sillonne les îles de l’Estuaire du Cameroun, pour documenter l’impact du changement climatique. Face à la destruction des mangroves, le sort des communautés riveraines est l’une de ses principales inquiétudes. « Bientôt on va entendre que l’eau est sortie de son lit. C’est dangereux pour les villages Bonamikano, Bonamatoumbe, Djebalè et les inondations seront catastrophiques », ajoute Chi Napoléon, en observant le site.

L’engloutissement de la capitale économique, peuplée d’environ 3 millions d’habitants n’est pas la seule conséquence envisagée. Sur les 60 mille hectares de mangroves que compte Douala, environ 16% de mangrove étaient fortement dégradées en 2015. La ville est ainsi exposée à une perte importante de sa biodiversité. «Cette biodiversité est autant aquatique que terrestre. Les mangroves constituent des zones de reproduction de plusieurs espèces halieutiques», explique Dr Joseph Olinga, sous-directeur des études et de la protection de l’environnement à la Communauté urbaine de Douala (CUD).  Malgré ces menaces, les multiples actions de préservation de la mangrove peinent à porter des fruits. 

Pesanteurs socio-administratives 

Selon l’ONG WTG, le trafic de bois dans les mangroves réduit les « Rhizophora et l’ Avicennia », qui sont les deux espèces de palétuviers les plus prisées dans la région du Littoral. Elles sont communément appelées Matanda par les populations de la côte. Leur exploitation s’est décuplée ces dernières années, à en croire Lobe, natif du village Bonamatoumbe. « A cause de l’urbanisation, on s’attaque au Matanda. Mbelé et Djebalè, sont pour l’instant épargnés parce que ce sont des îles. Les exploitants du bois n’ont pas encore les moyens pour y accéder. Sinon, ils auront déjà détruit les Matanda comme sur les berges de Bonambapè », relève le sexagénaire. Pour lui, il revient aux pouvoirs publics de trouver des solutions pour stopper la coupe de palétuviers. « La mairie, la sous-préfecture, sont là pour nous aider à freiner cette hémorragie, puisqu’au niveau des chefferies, nous n’avons plus de force.», soutient Lobe qui est par ailleurs représentant du chef traditionnel de la localité.

La mangrove de Youpwe a Douala:La pression sans cesse croissante sur les ressources se traduisant par la diminution et la disparition de nombreuses espèces floristiques, halieutiques et fauniques a généré des dysfonctionnements de l’écosystème de mangrove causant ainsi des répercussions hydro-morphologique et socio-économique à Youpwe. Photo/Moutila Beni Luc

A quelques kilomètres de là, un leader communautaire du quartier Youpwe, dans l’arrondissement de Douala 2e, conserve jalousement un communiqué radio signé du sous-préfet. Cette note administrative publiée en Juin 2019, interdit aux populations des quartiers Youpwe et Bois de singe « toute activité tendant à détruire la mangrove ». Cependant, la décision n’est pas contraignante.  « A notre niveau, nous n’avons pas les moyens pour lutter contre ce trafic. Les trafiquants coupent en journée et transportent généralement dans la nuit », indique sa Majesté Victor Bete. 

A Youpwe, les bruits des scies à moteur animent le quotidien des habitants. Et c’est le cas dans plusieurs autres arrondissements de la ville, où le bois de mangrove est ainsi extrait et commercialisé. Des dizaines de pirogues chargées de billons de cette ressource débarquent tous les jours sous le pont noir situé à Douala 3ème et au Bois de singe à Douala 2ème. Ces cargaisons  sont parfois interceptées par les autorités. « Ces bois amassés dans la cour ont été saisis.» indique le délégué départemental du Minepded, William Lennyuy. Il pointe du doigt un tas de bois de mangrove face à son bureau. «Des actions de répression continuent. Mais, comme toute autre action, depuis qu’on lutte contre les voleurs, il y en a toujours. Au moins, ils savent qu’il y a une épée de Damoclès au-dessus de leur tête ». précise le délégué. 

Changement de comportement

Si le bois de mangrove subit autant de pression à Douala, c’est parce qu’il est sollicité pour répondre à plusieurs besoins. Les fumeuses de poissons ont par exemple du mal à s’en priver. Moins toxique que les autres essences de bois, le matanda donne au poisson fumé un parfum et une couleur agréables. Alors, en plus de la répression, les autorités sensibilisent. « Depuis des années, on nous dit qu’il ne faut pas couper le matanda. Quand on coupe, la forêt est fragilisée, les courants  d’air sont plus violents, et nous sommes exposés », rapporte Bridget, une fumeuse de poisson d’environ 55 ans qui a participé à plusieurs campagnes de sensibilisation sur l’importance de la mangrove. 

Les mangroves de Douala. Photo/BÉRENGER ZYLA

Marceline Dohko, elle aussi spécialisée dans le fumage du poisson, seule activité lui permettant de soutenir la scolarité de ses enfants, affirme qu’il est difficile d’abandonner l’utilisation de matanda. Pourtant, en 2021, elles ont été formées à l’utilisation des fumoirs améliorés, comme alternative au bois de la mangrove. Durant la formation, elles ont appris que ce dispositif dépend de l’énergie solaire et réduit aussi les risques de maladies auxquelles sont exposées les fumeuses. Mais depuis la formation, Bridget et Marceline n’ont jamais pu se procurer ce fumoir amélioré, faute de moyens financiers. 

Les experts reconnaissent qu’il est difficile d’interdire aux populations d’exploiter le bois de la mangrove. Ce n’est pas l’objectif de la plupart des interventions.  « On ne pourra jamais empêcher la coupe du bois de mangrove. Il est question de les gérer rationnellement afin que les générations futures puissent en bénéficier .», souligne Christel Boum, un agent forestier qui a créé en 2018, l’association Action pour la protection des Ecosystèmes de Mangroves.  Au-delà de Yoyo son village natal, où il a commencé des actions de sensibilisation, Christel accompagne les communautés vers un changement de comportement. « Il faut montrer à ceux qui coupent que le bois n’est pas la seule source de revenus. Il faut leur proposer des alternatives », conseille-t-il. 

Reboisement

Docteur Olinga quant à lui propose des pistes de reconversion  pour les exploitants du bois de la mangrove. «Ces personnes qui vivent de la coupe du bois de mangrove, peuvent par exemple être reconverties dans une activité comme guide touristique, conducteur de pirogues». Des alternatives à mettre en œuvre concomitamment à la restauration. Entre 2020 et 2022, des projets de reforestation ont été rares à en croire le délégué régional Minepdep-Littoral. Pour Boum Christel, cette restauration ne suit pas la vitesse des coupes  « parce qu’on coupe tous les jours mais le reboisement est quasi nul ».

Rhizophora. Photo par Philomène Djussi

Dans l’optique de reboiser les mangroves des berges du Wouri, l’association WTG a réalisé une pépinière de près de 70 mille plants des espèces de Rhizophora et Alvicena à Bonamikano, à Bonaberi.  « Nous allons reboiser 26 hectares. 11 hectares à Bonamikano et 15 hectares à Djebalè », confie Chi Napoléon. Le reboisement fait partie de l’initiative de restauration des écosystèmes de mangrove et de résilience portée par l’ONG internationale Planète Urgence. D’une durée de 5 ans, il vise à constituer un important puits de carbone dans cet écosystème dégradé. Mais à peine la pépinière créée que le site de restauration est menacé. A Bonamikano et Bonamatoumbe, plus de 200 hectares de mangroves ont été détruits au profit des travaux de construction d’un complexe touristique. 

 

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet Open Data for environment and Civic Awareness in Cameroon (ODECA), initié par ADISI-CAMEROUN. Le projet est financé  par le Centre for Investigative Journalism (CIJ) de l’Université de Londres, dans le programme Open Climate for Reporting Initiative (OCRI).

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