Grâce à la cartographie participative, des communautés autochtones Baka se disent prêtes à défendre leur forêt face à la possible implantation d’une cimenterie à Mintom au Sud Cameroun.

« Nos zones d’habitations et toutes nos activités sont représentées sur cette carte : nos plantations, nos sites sacrés, nos anciennes cabanes et même nos cimetières », se réjouit Jeannine Abele, jeune femme autochtone Baka native de Mintom. La joie se lit également sur les visages des communautés autochtones Baka du tronçon communément appelé « l’axe Dja » regroupés au centre préscolaire du village Nkolemboula.

Situé dans le Sud Cameroun, l’axe Dja relie le centre-ville de l’arrondissement Mintom au fleuve Dja. Des peuples autochtones Baka découvrent les cartes finales des 4 villages Baka de l’axe Dja, produites grâce à la cartographie participative réalisée par ces communautés pendant presque deux ans.

Assise sur le premier banc de la salle de classe, Jeannine a les yeux pétillants de joie. Elle n’en revient pas. Sans aucune expérience en cartographie, elle y est arrivée : contribuer avec succès à la cartographie participative des zones d’activités des membres de sa communauté. La jeune femme autochtone Baka fait partie des trois femmes membres de l’équipe de collecte des données.

Au total 5 cartes participatives ont été produites. A l’aide de marqueurs de différentes couleurs et de papiers conférences, les communautés Baka des 4 villages ont d’abord réalisé des « cartes au sol » de leurs villages. Elles y ont représenté leurs maisons d’habitation, les sites sur lesquels elles mènent leurs activités de chasse, cueillette, ramassage, pèche ainsi que les activités menées par d’autres opérateurs en forêt.

« Nous sommes les peuples de la forêt. Nous avons surmonté toutes ces difficultés, parce que si nous ne réalisons pas cette cartographie, personne ne le fera pour nous. Ils disent que nous sommes les premiers habitants de la forêt, mais refusent de reconnaître notre droit à la terre »

A partir desdites cartes, Jeanine et les six autres enquêteurs se sont rendus en forêt munis de GPS, bloc-notes et téléphones portables. Durant trois jours, l’équipe a bravé le soleil et la pluie, parcouru de longues distances en forêt de jour comme de nuit, pour collecter les points GPS des différentes activités identifiées et en l’occurrence celles mettant en relief les activités minières et le mode de vie des Baka. « Nous sommes les peuples de la forêt. Nous avons surmonté toutes ces difficultés, parce que si nous ne réalisons pas cette cartographie, personne ne le fera pour nous. Ils disent que nous sommes les premiers habitants de la forêt, mais refusent de reconnaître notre droit à la terre », affirme la jeune native de Meyos. Avec enthousiasme, elle pointe du doigt les zones qu’elle a elle –même localisé à l’aide du GPS.

Sur la carte, les communautés identifient leurs zones d’activités, mais constatent avec amertume que leurs terres sont presque déjà toutes exploitées pour d’autres usages. D’après la cartographie, les activités des peuples Baka des villages Nkolemboula, Meyos, Bemba 1 et Bemba 2 se limitent au Nord par le fleuve Dja. A l’Est, elles vont au-delà de la rivière Koumou. Au Sud, les communautés mènent leurs activités jusqu’à la forêt communautaire Abassiani. Sur ces mêmes espaces, l’Etat a déjà délivré des permis miniers de recherche du calcaire. On y retrouve aussi une Unité Forestière d’Aménagement (UFA), la Réserve de faune de Ngoyla Mintom et une zone d’intérêt synergétique.

Carte participative montrant les zones d’utilisation des quatre communautés. Source: Forest Peoples Programme

La cinquantenaire Denise Ndjima ne cache pas sa surprise. « Je ne savais pas que la forêt que j’utilise depuis ma naissance (49ans) ne m’appartenait plus, que l’Etat avait déjà tout distribué sans penser à nous et toutes nos familles».

Mines contre territoires autochtones

Les cinq cartes produites par les peuples Baka permettent de constater que trois permis miniers de recherches ont été délivrés dans la zone et chevauchent des zones de ramassage, de chasse, d’artisanat et de pèche des Baka. Il s’agit des permis de recherche CAGEME, permis de recherche VENTURE CAPITAL PLC, permis de recherche entreprise générale bâtiment public work (EGBTP). Ces permis sont également superposés aux tombes, sites sacrés, campements, villages centre ou villages anciens des Baka de l’axe Dja.

Sur la carte des villages Bemba 1 et Bemba 2, on aperçoit aussi une piste baptisée par les communautés « piste cimenterie ». Responsable projet au sein de l’ONG Forest Peoples Programme, Macnight Nsioh a accompagné les communautés durant le processus d’élaboration de la carte. « Les cartes participatives permettent de voir que le calcaire pourrait être exploité dans les villages Bemba1 et Bemba2. On le constate à partir de la route dénommée « route de la cimenterie » empruntée par plusieurs investisseurs ayant obtenu des permis de recherche du calcaire dans la zone », précise Macnight.

« Ce projet risque de rencontrer des difficultés à l’avenir car ils devront défricher une grande partie de la forêt avant d’exploiter le calcaire. En raison des normes mises en place par les mécanismes internationaux de conservation, cette cimenterie risque de rencontrer des problèmes similaires à ceux auxquels Sud Hévéa est confronté aujourd’hui », averti Prospère Medoulou, adjoint au maire de Mintom.

Au cours de la réunion de présentation officielle de ces cartes participatives en Juin 2019, le sous-préfet de Mintom ne cache pas sa surprise  à la vue de l’état des chevauchements entre les permis miniers et les activités des peuples autochtones Baka: « C’est une situation inquiétante » affirme Emmanuel Dongo.

Il préconise d’anticiper pour limiter au maximum les dégâts. « Je souhaite que pendant la réalisation du projet de la cimenterie, il n’y ait pas de problèmes. Lorsque les choses se passent dans le dialogue et l’entente, nous sommes tous contents. Nous ne devons pas attendre la dernière minute pour réagir et faire des grèves comme on voit dans d’autre pays. C’est donc le moment pour nous de ménager des efforts et faire en sorte que les intérêts des peuples soient pris en compte», indique Emmanuel Ndongo.

L’adjoint au Maire de Mintom ne partage pas le même optimisme. « Ce projet risque de rencontrer des difficultés à l’avenir car ils devront défricher une grande partie de la forêt avant d’exploiter le calcaire. En raison des normes mises en place par les mécanismes internationaux de conservation, cette cimenterie risque de rencontrer des problèmes similaires à ceux auxquels Sud Hévéa est confronté aujourd’hui », averti Prospère Medoulou, adjoint au maire de Mintom.

Des propos qui suscitent la réponse immédiate du sous –préfet. « Le gouvernement met tout en place pour limiter les impacts de ce projet. Le projet subira des modifications, j’en suis certain. L’usine peut être déplacée. Ils peuvent exploiter la matière première ici mais produire le ciment ailleurs. L’idée c’est d’avoir le moins d’impact possible sur le terrain », martèle le sous-préfet.

Le consentement libre des Baka violé

Selon Jeannine Abele, l’Etat ne consulte pas les Baka avant de prendre de pareilles décisions. « L’Etat nous méprise. Il vend nos espaces sans nous informer. Il nous marginalise. Il nous traite comme des sous hommes car des réunions concernant des entreprises minières se tiennent uniquement chez nos voisins bantous ».

Les défenseurs des droits des communautés autochtones sont formels. « Au stade actuel, le Consentement Libre, Informé Préalable des communautés n’a pas été respecté. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’étude d’impact environnemental et social dans la zone. Dans les villages Baka, il n’y a pas eu de réunion relative à l’arrivée des entreprises minières dans la zone », précise Macnight Nsioh.

Dans les 4 villages des peuples autochtones Baka de l’axe Dja, une question est au centre des débats. « Pourquoi avoir déjà délivré trois permis de recherche du calcaire dans une même zone » ? Les communautés ont appris de source informelle que le calcaire pourrait être exploité dans leur forêt pour la production du ciment.

Les Baka de Meyos et Nkoulemboula avec leurs cartes participatives. Photo: Macnight Nsioh/FPP

Denise a passé toute sa vie en forêt et n’a jamais vu le ciment, d’où son exclamation. « J’entends seulement ciment ciment… Je ne sais même pas de quoi il s’agit. Nous voulons être éclairés sur cette affaire. Je suis inquiète car j’ai appris que mon village Meyos est construit sur une pierre et ils vont casser cette pierre pour rechercher le ciment », déclare Denise.

La carte, notre défense

Tous ces obstacles ne freinent pas l’élan des communautés autochtones Baka. En première ligne, des femmes se disent prêtes à utiliser les cartes participatives produites pour défendre leurs forêts. « Mon territoire et toutes mes activités sont enfin sécurisés. Cette carte est comme notre défense. Si une entreprise se présente pour s’en accaparer, je lui montre cette carte. Ces investisseurs doivent savoir que j’utilise ces espaces depuis que je suis née», ainsi s’exprime Marceline Yomeh 30 ans, et mère de trois enfants.

L’affirmation selon laquelle les Baka sont les peuples de forêt doit retrouver tout son sens, estime Aphonsine Mefouman, jeune femme Baka membre de l’équipe de bénévoles retenus pour la collecte des points GPS en forêt. « On nous dit souvent que les Baka sont les peuples des forêts, alors nous allons défendre notre forêt. S’ils viennent avec les policiers, ils seront obligés de tuer tous les Baka pour s’installer. Si jamais je dois quitter mon village, ce sera à contre cœur. Avant de partir,  je vais m’adresser aux autorités parce qu’elles semblent ignorer que sans la forêt les peuples autochtones Baka n’ont pas de vie », argue Denise.

Parmi les urgences, des organisations de la société civile notent l’octroi de facilités d’accès à la terre aux peuples autochtones ainsi que la reconnaissance par l’Etat des villages Baka. L’objectif du Développement Durable N°15 portant sur la vie Terrestre préconise de gérer de façon durable les forêts et leurs ressources tout en donnant aux populations locales des moyens d’assurer durablement leur subsistance.

Seulement, avec la ruée des investisseurs miniers dans les forêts Camerounaises, les gardiens de la forêt risquent d’être privées de leurs terres et de moyens de subsistance.

 

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