La lutte contre les changements climatiques passe également par le respect des droits de l’homme et la réduction des inégalités sociales entre les peuples. Dans cette optique, le droit à la tenure foncière et forestière de la femme autochtone de la RDC constitue une question particulière à prendre en compte dans l’élaboration des stratégies de développement. Dans ce pays à faible viabilité économique et social, comment protéger les droits de la femme autochtone à la terre et aux forêts?
La République Démocratique du Congo recèle 60% des forêts du bassin du Congo, un front crucial dans la lutte contre les changements climatiques à cause de sa grande capacité de stockage de carbone. D’un autre coté, dans ces forêts y vivent les peuples autochtones, dit les pygmées, considérés comme les gardiens de la forêt de par leur coutume et style de vie qui conservent les ressources forestières. La femme pygmée, particulièrement, vit pauvrement, et est également victime des inégalités sociales et économiques.
À ce stade, aucun indicateur ne sait prédire qu’elle pourra bénéficier des retombées des politiques de gestion des ressources naturelles en cours pour un développement inclusif. Surtout quand on sait que lors de leur élaboration, la femme, en général, et autochtone, en particulier, n’était pas considérée comme groupe spécifique, ayant des besoins spécifiques et dans un contexte particulier.
De cet état de lieu, une vingtaine de femmes des organisations féminines autochtones, de la société civile nationale et de la région d’Afrique Centrale, ont réfléchi, les 28 et 29 décembre 2017 à Kinshasa, pour faire un diagnostic rapide sur les droits fonciers et forestiers des femmes autochtones en RDC. Organisées par le Réseau des Femmes Africaines pour la gestion Communautaire des Forêts « REFACOF », avec l’appui financier du CIFOR, ces assises ont permis de ressortir les freins et les opportunités au droit à la tenure foncière et forestière de la femme autochtone en RDC. Selon Mme Cécile Njebet, présidente du REFACOF, “il est actuellement important d’assurer la sécurisation des droits fonciers et forestiers de la femme autochtone pour les aider à mieux supporter les impacts négatifs des changements climatiques”.
Comprendre la situation de la femme autochtone
Avant tout, il sied de comprendre le contexte. Trois groupes de peuples autochtones se trouvent en RDC : les Batwa, les Bambuti et les Babuluko. Tous ces trois groupes subissent, depuis des siècles, de nombreuses discriminations et persécutions par les peuples bantous. La spoliation de leur terre par ces derniers ont causé le rétrécissement de leur milieu de vie traditionnel, et continue d’accentuer la difficulté d’accès équitable à la terre, ainsi qu’aux services sociaux tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable. D’où, l’état d’extrême pauvreté des peuples autochtones.
La femme autochtone, qui doit faire face aux inégalités sociales imposées par la loi coutumière, se retrouve avec un faible niveau d’information, d’alphabétisation et de scolarisation. En outre, ” la non prise en compte des préoccupations et des intérêts des femmes autochtones en matière de leurs droits de tenure foncière et forestière dans les documents de politique nationale, des initiatives et processus de reforme légale en cours constituent une barrière pour ce groupe social qui doit encore subir les pesanteurs de la coutume”, renseigne Mme Iris Flore Nken, chargée des programmes au REFACOF.
Un autre frein majeur à la possession de la terre par la femme autochtone demeure l’absence de zonage forestier au niveau national, un outil d’aménagement du territoire nécessaire pour délimiter les terres appartenant aux femmes et garantir le partage équitable des bénéfices des ressources forestières à ces dernières. Le zonage forestier s’avère également un bouclier contre l’acquisition des terres ancestrales par les concessions forestières, qui demeurent une véritable épine pour les communautés.
Il faut aussi noter que l’absence de la représentation des femmes autochtones dans les instances de prise de décision en matière de gestion forestière est une barrière, bien qu’elles soient les plus nombreuses dans les zones forestières. Les femmes autochtones se doivent également de se constituer en synergie des organisations des femmes autochtones et de la société civile intervenant sur le terrain.
Les opportunités
Malgré la situation précaire dans laquelle se trouve la femme autochtone quant à son droit à la tenure foncière et forestière, il existe des dispositifs légaux, nationaux et internationaux qui lui garantissent ce droit fondamental. Sur le plan national, la Constitution de la RDC, et son Code forestier permettent aux femmes autochtones de légitimer leur droit. Sur le plan international, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, la Convention sur la biodiversité et celle de l’Organisation Internationale du Travail permettent à la femme autochtone de réclamer ce droit à la terre.
Outre les textes légaux, la femme autochtone a l’opportunité de mener des plaidoyers pour valoriser son savoir-faire et en tirer des bénéfices dans les programmes et processus en cours. ” Nous voulons mener des actions concrètes et mettre en valeur nos savoirs endogènes, ceci pourra passer par la promotion des échanges d’expériences entre les différentes femmes et autres groupes sociaux”, a déclaré Mme Dorothée Lisenga, femme autochtone et coordonnatrice nationale de la Coalition des Femmes Leaders pour l’Environnement et le Développement Durable (CFLEDD), co-organisatrice de l’atelier.
L’intégration du genre dans les programmes en lien avec la gestion foncière et forestière est actuellement indispensable pour leur succès. Les femmes sont les principales utilisatrices des forêts, elles sont parmi les acteurs-clés de la sécurité alimentaire et de la nutrition, de par leur rôle social. En outre, elles représentent au moins 70% de la mise en œuvre agricole, elles sont leaders dans l’exploitation des produits forestiers non ligneux (PFNL), elles contribuent de manière très significatives à la lutte contre les effets négatifs du changement climatique. Enfin, elles contribuent très fortement à la réduction de la pauvreté.
Dans le processus de Réduction des Émissions des gaz à effet de serre dus à la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD+) en RDC, les activités de subsistance des femmes ainsi que leur connaissance spécifique du domaine forestier peuvent ajouter de la valeur aux activités de foresterie communautaire telle que le suivi, la gestion des sols et les travaux de restauration des forêts. Ce, tout en s’assurant qu’il y ait partage équitable des bénéfices ai sein de la communauté, l’un des principes-clés de la REDD+.
Les femmes congolaises peuvent au moins rester confiantes quant au succès de leur démarche. Après un plaidoyer mené par les femmes suite à une étude sur la tenure foncière des femmes en RDC organisé par le Rights and Resource Institute en octobre 2015, l’aspect genre a été intégré dans le processus de reforme de la loi foncière en RDC et la société civile a pu y nommer une femme déléguée en charge de cette question au sein du Commission Nationale de la Reforme Foncière (CONAREF).
Actions concrètes pour le plaidoyer
Le défi imposé par le droit de tenure foncière et forestière ayant un impact social, politique et économique, les femmes autochtones réunies en synergie, doivent entreprendre des actions pour intégrer le genre dans les processus et programmes forestiers et fonciers en cours.
Ainsi, ces actions commencent par le renforcement des capacités techniques et organisationnelles et l’analyse des documents stratégiques pour d’y déceler la présence et/ou l’absence de l’aspect genre, au bénéfice de la femme autochtone.
Fortes de ces outils, cette dernière pourra mener des plaidoyers axés sur la cartographie des droits des Femmes Autochtones , la communication de masse et la promotion des nouvelles technologies, à l’instar de l’agriculture biologique, la valorisation des savoir-faire traditionnels et les initiatives de sources d’énergie alternative.
“Nous souhaitons faire un plaidoyer pour l’acquisition des terres par la femme autochtone de Mai-Ndombe, où nos réclamations restent vains. L’administration ou les délégations de la société civile ne font rien lorsqu’on spolie nos terres, et nous sommes discriminés”, a expliqué Emani Nzako, femme autochtone de la province Mai-Ndombe, participante à l’atelier.
Les actions ci-haut planifiées ont une meilleure chance d’aboutir si l’on considère une approche intégration des femmes au développement (IFD), prônée par l’ONU, qui prétend que si l’on met la femme dans les conditions dans les optimales, elle est susceptible de contribuer au développement d’une manière générale. Pour y arriver, il est nécessaire de comprendre la nature de la relation entre les hommes et les femmes dans une culture et un contexte donnés.
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