A Douala, des femmes vivant avec un handicap recyclent des emballages plastiques en objets d’art et accessoires de maison pour combattre la pollution.
Des porte-clés, des paniers à pain, des sacs à main, des chapeaux, des boucles d’oreilles, des protège-téléphone, une diversité d’articles essentiellement faits à base d’emballages plastiques recyclés. Dans la salle d’accueil de l’association des filles et femmes handicapées pour l’intégration totale au développement (AFHALITD) sis à Douala au Cameroun, ces produits sont exposés sur une table recouverte de nappe. Un chef-d’œuvre réalisé par des femmes vivant avec un handicap, pour combattre la marginalisation.
Marie-Louise Noubissie, elle-même handicapée moteur est la présidente de l’association AFHALITD. « Dans la société, nous sommes discriminées, abandonnées par nos proches qui se disent que nous ne pouvons rien faire». Pourtant, « une personne vivant avec un handicap comme une personne valide, peut contribuer au Développement Durable », argue Marie-Louise. Elle ajoute que c’est d’ailleurs le leitmotiv de l’AFHALITD.
Malgré leur handicap, ces femmes redonnent vie aux emballages plastiques, qui, déversés dans la nature après utilisation, polluent les cours d’eau et dégradent le sol. Les yeux scintillant de joie et d’espoir, Marie-Louise Noubissie se souvient des réticences de ses proches lorsqu’elle a décidé de collecter des emballages plastiques déjà utilisés. « Dans ma famille, c’était une découverte et personne n’y croyait. Mes proches affirmaient que le plastique ramassé dans une poubelle est un déchet et ne sert plus à rien. Mais, nous leur avons montré qu’un déchet peut être récupéré et être utile », lance-t-elle avec assurance.
Pour Marie-Louise et ses consœurs, la priorité c’est de recycler. Et pour y arriver, chaque membre de l’association a le devoir de collecter des emballages plastiques tout au long de la semaine. « Le but c’est de ne pas acheter des emballages plastiques, mais de récupérer ceux déjà utilisés par les ménages », précise une autre adhérente d’AFHALITD.
Un déchet revalorisé
Assises sur des chaises roulantes ou debout à l’aide des béquilles, ces braves femmes sillonnent les quartiers de Douala et ramassent tous les emballages plastiques qui jonchent les rues. Munies de gangs, elles fouillent des bacs à ordures ou des petits seaux poubelles à la recherche de la matière première, indispensable pour leur activité. Elles mettent aussi à contribution quelques membres de leurs familles pour augmenter le stock d’emballages plastiques communément appelés « Nylons ». « Ma fille ne jette plus ses nylons. Elle les collectionne chaque fois qu’elle fait des achats et me les donne », déclare la sexagénaire Marie Mawabo, couturière de profession.
Veuve et mère de 5 enfants, Marie fait partie de la dizaine de femmes handicapées et membres d’AFHALITD investie dans le recyclage des emballages plastiques. Elle a perdu l’usage du pied gauche à la suite d’un accident il y a 11 ans et depuis lors, il lui est interdit d’utiliser des machines électriques pour son travail. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle alterne donc entre couture et tricot.
L’emballage plastique représente une précieuse ressource pour son activité de tricotage et elle en prend grand soin. « Dès que j’ai une dizaine d’emballages plastiques, je procède au trie pour ne garder que ce qui est bon pour le tricot. J’utilise du savon et du javel pour les laver dans une grande bassine d’eau. La lessive terminée, j’étale mes emballages sur une corde, comme on le fait pour le linge, afin qu’ils sèchent » raconte Marie.
La qualité de l’emballage joue en effet un rôle déterminant dans l’activité des femmes d’AFHALITD. Si l’emballage est trop faible, il est fragile. S’il est trop dur, il est difficile de le manier avec le crochet et en plus, il blesse les doigts. Par conséquent, « certaines femmes utilisent souvent de la vaseline pour éviter des blessures ».
Tout recycler
Dès que les emballages sont secs, place au repassage. Une particularité, le repassage se fait à la main pour éviter que le plastique ne se brule au contact avec la chaleur d’un fer à repasser. « Je passe la main sur le plastique étalé sur une surface plane pour le redresser afin que le plastique soit droit. C’est primordial car pour couper, le plastique doit être droit, sinon on coure le risque de rater la forme», déclare dame Mawabo. Autre précision, signale-t-elle, « On ne jette rien sur le nylon, rien. Par exemple, les déchets que nous accumulons, me servent à faire la corde pour ce panier ».
La matière première est presque prête pour le recyclage, reste juste à la mettre en forme. Nos artisanes d’un autre genre plient bien l’emballage plastique. Puis, à l’aide de ciseaux, elles découpent l’intérieur en fine lamelles et qu’elles enroulent sur une tige pour en faire une bobine de « nylons ». Pour ce qui est des extrémités de l’emballage plastique, elles les utilisent pour mouler les porte-clés afin qu’ils soient durs.
Le tricot peut commencer. Pour tout matériel de travail, une aiguille à tricoter connu sous le nom de « crochet » et un sac contenant des bobines de « nylons » servant de fil à tricoter. Les couleurs des bobines diffèrent selon le type d’accessoires. Entre autres jaune-noir, blanc-noir, le rouge, orange-noir. Après plusieurs heures voire des jours de broderie, le produit du dur labeur de nos artisanes est disponible. Les prix oscillent entre 500Fcfa (1$) pour les porte-clés et 4000Fcfa (7$) pour les sacs à main.
Elles profitent des foires et expositions organisées en partenariat avec d’autres organisation pour vendre leurs produits. Au passage, elles vantent les mérites de ces articles. « Lorsque vous achetez un porte clé à 500F et vous l’utilisez pendant trois ans sans défection, ça vous fait plaisir, car c’est durable. S’il est sale, il vous suffit de le rincer et l’article retrouve son éclat. Mais, ne le rapprochez pas des flammes», avise Marie-Louise.
Un combat mondial
Déjà sept ans que dure l’expérience. Les femmes d’AFHALITD affirment avoir bravé leur handicap pour assainir l’environnement. « Nous avons vu à la longue que nous étions en train de rendre service à la société entière. Au lieu de laisser que le plastique polluent l’environnement, nous les ramassons, et favorisons ainsi le développement des activités agricoles, l’assainissement des cours d’eau et nous luttons aussi contre l’insalubrité », affirme la présidente d’AFHALITD.
En effet, la pollution plastique affecte le Cameroun, engagé à réaliser les Objectifs du Développement Durable (ODD), comme d’autres pays du monde. D’après l’Institut National de la Statistique, environ 24% des ménages urbains jettent leurs ordures dans la nature. Les mêmes sources montrent que le plastique et le métal représentent en moyenne 10% des déchets dans les principales municipalités du pays. C’est dans ce contexte que le pays célèbre l’édition 2018 de la journée mondiale de l’environnement qui marque un tournant décisif dans le combat contre la pollution plastique.
Sur le plan mondial, les chiffres indiquent l’urgence d’agir. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (ONU Environnement), le plastique représente 10% de tous les déchets que nous produisons. « Chaque année, plus de 8 millions de tonnes de ces déchets sont déversées dans les océans, l’équivalent d’un camion à ordures complet à chaque minute», rapporte l’institution internationale.
Plus inquiétant, « si la tendance actuelle se poursuit, il y aura en 2050 plus de plastique que de poissons dans les océans ». A travers le recyclage des emballages plastiques en objet d’art, ces femmes vivant avec un handicap réussissent le pari de « réutiliser les produits plastiques autant que possible », comme le préconisent les Nations Unies. Reste à présent qu’elles soient encouragées dans ce projet aussi bien au niveau national qu’international.