La chute du cuivre et du cobalt qui frappe les mines en République Démocratique du Congo, n’arrange guère le quotidien des creuseurs. A la merci des industries minières et intermédiaires, ils doivent produire de grands volumes de bruts pour espérer gagner peu d’argent.
En 2015, le Katanga a atteint la production d’un million de tonnes de cathodes de cuivre, et près de 700 mille de cobalt. Le nombre d’entreprises minières a aussi augmenté dans la région. Mais cette embellie n’arrive pas à générer assez d’emplois, restant loin des 33.000 qu’offrait la seule Gécamines (entreprise minière publique) avant sa chute.
« La Gécamines produisait environ 450 mille tonnes de cuivre et fournissait au pays, en plus de ses charges sociales, l’essentiel des ressources pour faire fonctionner les institutions du pays. Le problème c’est que le secteur minier est mal géré. On politise les postes de responsabilité : là où on a besoin d’un technicien, on nomme un politicien », explique Jean-Pierre Muteba, ancien coordonnateur de la société civile du Katanga.
Entre-temps, la région qui a éclaté en quatre nouvelles provinces depuis septembre 2015 attire de plus en plus de monde à cause de ses mines.
Plus de 21 mille travailleurs sans sécurité sociale
Le chômage frappe plusieurs personnes, les jeunes en majorité (il n’existe pas de chiffre officiel). En 2015, Moïse Katumbi, alors gouverneur du Katanga, l’estimait à 90% de la population congolaise. Les chiffres estimatifs du SAESSCAM, le service public chargé de l’encadrement des miniers artisanaux (creuseurs), donnent 21.000 jeunes travaillant à la main libre dans les mines. On les trouve dans les carrières qui entourent les villes minières : 12 mille à Kolwezi, au sud-ouest, 9 mille à Likasi (4.000) et de Luisha (5.000) au centre, et 500 dans le territoire de Kipushi près de Lubumbashi, au sud. D’autres recherchent le manganèse à Kisenge, à la frontière angolaise, le coltan (très recherché dans l’industrie électronique) à Mitwaba et à Manono, au nord de l’ex-Katanga.
Le quotidien des creuseurs est dur : ils passent leurs nuits sous des tentes en bâches ou sous la terre, dans les puits où ils creusent les minerais. C’est sans compter les risques d’exposition à ces minerais réputés radioactifs.
« J’ai passé mes vacances à la recherche d’argent dans une carrière minière artisanale, explique Tonton Mwenda, étudiant dans une université de Lubumbashi. Mon travail consistait à puiser de l’eau de boisson et de toilette pour les creuseurs. Ça ne me rapportait pas assez. J’ai alors décidé, un jour, de descendre dans un puits pour creuser moi aussi. Deux jours après, j’ai dû vite abandonner ce travail, qui a failli me tuer : j’ai commencé à cracher des caillots de sang. » Tonton a dû suivre un traitement contre des infections pulmonaires.
Les récits des maladies sont nombreux, mais aussi ceux relatant des accidents mortels comme les éboulements. En 2015, au moins 13 personnes sont mortes dans un puits, à une dizaine de mètres sous la terre à Kasulo, une cité de Kolwezi dont une partie est transformée en carrière à ciel ouvert. A Kasumbalesa, près de Lubumbashi, où un important filon de cuivre a été découvert, au moins 7 personnes mortes couvertes par la terre. « Chaque fois, le pouvoir public n’anticipe pas les mesures sécuritaires et environnementales, ne fût-ce que pour respecter les écarts entre les tunnels sous la terre », s’inquiète, sous anonymat, un géologue.
Les exploitants miniers exploités
La loi minière prévoit des sites destinés à l’exploitation artisanale. Ils sont octroyés aux coopératives minières, contrôlées par le SAESSCAM. Ces coopératives sont accusées d’exploiter les creuseurs. Pour Fréderic Malu, représentant régional de l’ONG CENADEP qui encadre les creuseurs, cette situation part de la loi minière qui ne définit pas bien le statut du creuseur.
« Un creuseur opérant dans la concession d’une coopérative minière ne peut pas vendre ses minerais ailleurs. Les prix sont fixés unilatéralement par les acheteurs et régulièrement, la teneur de leurs minerais est dévaluée. Dans ces conditions, le creuseur artisanal devient un employé sans sécurité sociale. Voilà comment il ne peut pas y avoir de développement de creuseurs artisanaux », explique Fréderic Malu.
Plusieurs services publics s’installent partout où opèrent les creuseurs artisanaux et perçoivent des taxes, parfois difficiles à justifier : le SAESSCAM, les coopératives minières, la police nationale, parfois aussi l’armée, le renseignement et même la direction de migration. C’est sans compter les financiers : ces personnes qui apportent des fonds, nourrissent les creuseurs et leur paient des matériels de travail. Lorsque les minerais sont vendus, ils prennent d’abord leurs dividendes : elles vont jusqu’à 60% des revenus, les plus durs jusqu’à 70%.
Le manque de suivi des lois au cœur de la peine des creuseurs
En 2002, lorsque le code minier congolais est élaboré, le parlement a institué le SAESSCAM en vue d’accompagner les creuseurs pour qu’ils passent de l’artisanat à la petite mine. La loi entendait alors favoriser l’émergence d’une classe moyenne. Certains animateurs devant mener ces politiques n’ont pas les compétences requises. La politique souffre donc d’un manque de planification et de suivi dans sa mise en œuvre, le pouvoir se limitant à l’octroi des sites miniers. « 15 ans après, le bilan est négatif. Les gens cherchent à s’enrichir au lieu d’accompagner les creuseurs », commente Baudouin Nkwambi de la Société civile du Congo.
Sont désignées responsables de cet échec, les coopératives, parfois réputées propriétés des dirigeants politiques, et le SAESSCM. Un des responsables de SAESSCAM au Sud-Katanga, John Mukondo, décline pourtant toute responsabilité : « Nous demandons toujours aux coopératives d’aider les creuseurs artisanaux à investir l’argent des mines dans d’autres secteurs économiques comme l’agriculture. Ce sont les gens qui n’ont pas la notion d’épargne, ce qui fait qu’avec la chute du cuivre, ils traversent un mauvais moment ».
L’importance des creuseurs artisanaux est pourtant grande dans les mines. « Près de 80% des productions minières congolaises viennent du secteur informel », selon l’économiste Florent Musha, du collectif d’économistes de la Société civile du Katanga. Les industries minières se préoccupent moins des conditions dans lesquelles ces minerais sont produits. Parfois, elles les acquièrent sans intermédiaires. Elles restent silencieuses sur les violations des droits humains qui entourent la production minière artisanale. Ce silence continue jusqu’aux fabricants des Smartphones et voitures électroniques qui utilisent du cuivre et du cobalt dans la fabrication de leurs produits. Selon le rapport de l’ONG Amnesty International (2016), 50% de la production mondiale du cuivre qu’utilisent Apple, Microsoft, Samsung, Sony, Daimler et Volkswagen viennent de la République Démocratique du Congo. Amnesty International indexe aussi la chinoise Congo Dongfang Mining (CDM) filiale de Huayou dont 40% du cobalt qu’elle commercialise viendraient de la RDC.
Les violations des droits des creuseurs artisanaux sont un dossier gênant pour le pouvoir public congolais, mais aussi pour les industries minières qui plus, sont à capitaux étrangers. Elles font rarement l’objet des débats publics, même au parlement. Mais il est arrivé plusieurs fois, entre 2002 et 2015, des protestations des creuseurs, fatigués de supporter des injustices. Les autorités sont alors sorties pour des déclarations qui souvent n’ont pas résolu le problème. De l’avis des spécialistes des mines, un renforcement des contrôles étatiques dans le secteur devrait permettre de sauver le travail des creuseurs artisanaux dont dépendent des millions de personnes.
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