Des équipes rurales livrant des kits de protection dans des communautés forestières isolées aux activistes sensibilisant les peuples autochtones de forêt, la société civile Camerounaise comble le vide laissé par l’Etat dans la lutte contre la COVID19.
Depuis quatre ans Marie-Cresence Ngobo se déplace entre les villages isolés qui bordent les immenses plantations de palmiers à huile gérées par la Socapalm (Société camerounaise des Palmeraies) et situées dans les régions côtières rurales du Cameroun.
Madame Ngobo et son équipe du Réseau des acteurs du développement durable (RADD), une organisation de la société civile, documentent avec minutie les plaintes des habitants de ces villages : des plantations qui empiètent sur leurs terres, la pollution de l’environnement causée par l’exploitation des palmiers à huile et l’impossibilité pour les villageois de profiter de leur propre huile de palme, un ingrédient essentiel dans la cuisine locale.
Le RADD fait partie des nombreuses organisations de la société civile camerounaise qui , travaillent en première ligne pour soutenir les communautés forestières dans leur combat contre l’accaparement des terres et les autres abus commis par les sociétés d’exploitation d’huile de palme, de caoutchouc et de bois.
Il y a cinq mois, Marie-Crescence, la dynamique secrétaire exécutive du RADD, a vu sa vie professionnelle changer du tout au tout.
Le 6 mars 2020, le premier cas de la COVID-19 a été signalé au Cameroun, un citoyen français de 58 ans récemment arrivé à Yaoundé. Onze jours plus tard, le gouvernement a pris des mesures pour enrayer la propagation du virus : limitation des déplacements, interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes et fermeture des frontières, écoles et universités.
Au 17 Août 2020, avec 406 décès confirmés, le Cameroun reste le pays d’Afrique Centrale le plus durement touché par la pandémie.
Une aide face à une crise mondiale
Les habitants de Yaoundé, Douala, Bafoussam et d’autres grandes villes sont rapidement informés des restrictions gouvernementales grâce aux médias, réseaux sociaux, églises et marchés.
Mais dans les zones rurales, où réside plus de 40 % de la population et où seuls 23 % des habitants ont accès à l’électricité, les rumeurs non fondées et les fake news se multiplient.
L’équipe du RADD se sent donc obligée de réorienter de manière provisoire son action, pour combler le manque d’informations aux populations et aider les habitants des villages forestiers à faire face à l’urgence sanitaire. « Il fallait agir au plus vite pour les accompagner pendant la crise sanitaire, qui était devenue une urgence », argue la Secrétaire exécutive.
Le RADD, qui travaille de façon spécifique avec des femmes dans les zones rurales sur des questions socio-économiques économiques mise sur un capital de confiance bâti au fil des années.
Le réseau décide de distribuer des kits de protection, avec notamment du savon et des masques, sachant que les habitants n’y avaient pas accès. « Nous avions d’abord envisagé de réunir des femmes à Yaoundé pour leur fournir des kits de prévention. Mais un tel voyage aurait mis leur vie en danger », explique madame Ngobo.
Alors, les membres du RADD utilisent WhatsApp et le réseau téléphonique pour mettre en place un système de femmes – relais, composé surtout de membres de la branche féminine de Synaparcam, un collectif de cultivateurs et cultivatrices de palmiers, qui dispose de solides connaissances des territoires locaux. Elles réussissent ainsi à distribuer des masques, du savon et des bidons d’eau en plastique pour le lavage des mains dans les communautés reculées du Cameroun.
Sensibiliser à distance
Dans l’arrière-pays, la sensibilisation aux dangers de la COVID-19 demeure toutefois un défi. « Les habitants des zones rurales peinent à croire que cette maladie existe », relate Emmanuel Elong, le président de la Synaparcam.
« Il n’est pas facile de travailler à distance avec les communautés, en raison des problèmes de communication. La plupart des communautés vivent dans des endroits où les coupures de courant sont fréquentes et de nombreux villages n’ont presque pas accès à l’électricité », ajoute Irène Wabiwa Betoko, responsable de la campagne Forêts pour Greenpeace Afrique, dans le bassin du Congo.
Malgré ces obstacles, la société civile s’emploie à informer les populations rurales à distance. « Les médias et les autorités ont très peu pris en compte le sort des peuples autochtones dans le contexte de la pandémie », affirme Timothée Aurelien Emini, chargé des questions juridiques pour l’association nationale Okani. Créée en 2004, Okani promeut et protège les droits fondamentaux des populations autochtones des forêts du Cameroun.
Pour ce faire, elle s’appuie sur une équipe de superviseurs présents dans les villages autochtones de l’Est et du Sud, les deux principales régions forestières du pays, où vivent depuis des décennies les Baka et les Bagyeli, deux peuples autochtones de forêt. « Au lieu de rester les bras croisés en raison de l’énorme risque que prendraient nos équipes en se rendant dans les communautés, nous avons décidé de maintenir des relations à distance avec nos superviseurs, et par leur intermédiaire, nous informons la population sur la COVID19 », précise Aurelien Emini, qui est lui-même un Baka de la région de l’Est.
« Nous avons formé nos équipes par téléphone en leur fournissant des informations sur les symptômes de la COVID-19 et sur les mesures préventives prises par le gouvernement. Elles se sont ensuite rendues dans les villages et ont réuni de petits groupes d’autochtones de moins de 50 personnes pour leur parler de cette maladie mortelle qui sévit partout dans le monde, leur expliquer comment elle se transmet et comment éviter d’être contaminé », précise encore M. Emini.
Sieur Emini évoque les solutions trouvées par son association face aux problèmes de connexion téléphonique : « Chaque lundi, les équipes qui se trouvent dans une zone située en dehors du réseau téléphonique se rendent à des endroits où le réseau est disponible afin que nous puissions communiquer. Elles nous informent de la situation dans leur zone et de l’état d’esprit des communautés. Si une urgence survient en dehors des jours de réunion, les équipes peuvent rapidement se rendre à l’endroit où il y a du réseau pour nous appeler et nous informer de la situation. »
Greenpeace Afrique a adopté une approche similaire dans le bassin du Congo, où elle communique avec les chefs de communautés pour les informer des mesures de prévention à adopter face à la COVID-19. « Ils nous parlent de la situation dans leur village et de la manière dont les communautés essaient de faire face à cette période difficile », explique Irène Wabiwa.
La société civile environnementale en première ligne
Selon des spécialistes, la réaction de la société civile camerounaise face à la pandémie témoigne du dévouement de ses membres et démontre que le renforcement de la société civile comporte des avantages tant en temps de crise qu’en période de calme.
Malgré cela, la société civile, en particulier les organisations qui œuvrent à la protection des forêts et des droits des populations forestières, s’est consolidée ces dernières années.
Justin Kamga est le Coordonnateur de l’organisation Forêts et Développement rural (FODER) qui travaille avec un réseau de près de 100 communautés dans les régions forestières du Cameroun. Pour lui, l’accord de partenariat volontaire (APV) sur le bois conclu avec l’Union européenne, que le Cameroun met actuellement en œuvre, explique en partie la consolidation de la société civile dans le pays.
Cet accord a contribué à préparer le terrain pour l’action de la société civile face à la pandémie, car le renforcement de la société civile fait partie intégrante de l’APV. « L’APV a constitué un appui de taille pour la société civile camerounaise. Les fonds reçus et les activités menées ont permis à la société civile en général d’accroître son influence dans le secteur forestier et sa participation à l’amélioration de la gouvernance dans le secteur ».
Ce n’est que le début
Difficile de savoir comment va évoluer la pandémie de COVID-19 au Cameroun, et en Afrique en général. Bien que le continent ne soit pour l’instant pas l’épicentre de la pandémie, l’Organisation Mondiale de la Santé avait indiqué que la maladie pourrait « couver » sur le continent pendant des années.
Ses répercussions se font déjà fortement sentir au Cameroun, avec la diminution drastique des envois de fonds depuis l’étranger, le ralentissement de la distribution des moustiquaires dans les communautés rurales, les effets dévastateurs du confinement sur les moyens de subsistance de l’immense segment de la population qui travaille dans le secteur informel, ou encore l’impact de la pandémie sur des services de santé déjà fragiles et débordés.
Les restrictions imposées par le gouvernement en mars ont depuis été assouplies, mais le travail de la société civile face aux impacts de la COVID-19 ne fait que commencer.
La version originale de cet article a été publié par la Deutsche Welle, en version podcast.