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Sa plantation à grande échelle suscite un grand débat au Cameroun. Certains militent pour l’interdiction de l’eucalypture pour des raisons environnementales, d’autres par contre, mettent en avant les avantages socio-économiques que cet arbre apporte aux ruraux.

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Plusieurs organisations de la société civile camerounaise et des chefs traditionnels ont émis des réserves contre la plantation anarchique des eucalyptus dans la partie occidentale du Cameroun. L’ONG SHUMAS (Strategic Humanitarian Service), basée à Bamenda dans la région du Nord-ouest, a été l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme il y a une dizaine d’années.

Des recherches effectuées par cette institution dans les départements de Bui et du Donga Mantung ont clairement démontré que l’eucalyptus était la cause du manque d’eau dans ces localités. « Motivés par l’appât du gain, les gens ont planté des eucalyptus à tour de bras et dans chaque espace disponible, ignorant que cet arbre est un hyper consommateur d’eau, pas moins de 400 litres par jour et par arbre. C’est ainsi que les rivières et le sous-sol ont été progressivement asséchés. Pour éviter une catastrophe agro écologique, nous avons lancé une campagne d’éradication de l’eucalyptus dans ces zones », explique Stephen Dzerem, le responsable de SHUMAS.

L’organisation pour la défense des droits de l’homme et la protection de l’environnement (OHDPE), une autre ONG locale est également montée au créneau à travers son président, Prince Raoul Nasser Kemajou,  qui propose : « l’eucalyptus a des effets négatifs sur les sols. Ses racines abaissent le niveau de la nappe d’eau phréatique, déshydratent le sol et tuent les plantes. Il est indispensable que les pouvoirs publics procèdent à l’élimination des eucalyptus afin de préserver les cultures vivrières comme le maïs, l’arachide, l’igname, le riz et bien d’autres ».

L’on observe également une forte mobilisation des autorités administratives, les maires et les chefs traditionnels, qui, face à cette question, ont pris le relais de ces organisations de la société civile dans les villes et dans les campagnes.

Une richesse aux multiples usages

Au-delà des désagréments environnementaux cités plus haut, l’eucalyptus est d’une richesse inestimable pour ces populations de l’Ouest et du Nord-ouest, d’après des témoignages recueillis auprès de ces dernières.

Fotso Jean-Jules, un menuisier installé dans la ville de Mbouda, dans la région du même nom, en parle avec des termes élogieux : « l’eucalyptus est la principale essence que nous utilisons ici pour fabriquer des meubles, nous en découpons des lattes pour construire des charpentes des maisons. C’est un arbre qui grandit vite et qui est très sollicité pour sa solidité. Mais l’essentiel des arbres abattus est vendu sous forme de poteaux à la société d’électricité et à la société des télécommunications. Un arbre planté rapporte d’une manière ou d’une autre après seulement sept ans », nous confie-t-il.

Son exploitation est tellement lucrative que les paysans se regroupent en association pour en tirer le maximum de gains et défendre plus efficacement leurs intérêts. Faï Julius, propriétaire de plusieurs parcelles d’eucalyptus à Nkambe, dans la région de Nkambe,  explique : « il est très facile de se faire de l’argent avec de l’eucalyptus. Je vends un arbre d’environ 7 mètres à 2500 F CFA l’unité. C’est l’acheteur qui paye celui qui abat et qui enlève les écorces à 500 F CFA l’unité, et c’est encore lui qui paie celui qui transporte l’arbre du champ jusqu’à la route à 500 F CFA également l’unité. Je m’en tire parfois avec 500 000 F CFA de recettes par vente. Ces poteaux servent de supports aux lignes d’électricité ou de télécommunications. L’autre manière de procéder, c’est de négocier pour la vente du champ entier. C’est très souvent le cas pour des grands eucalyptus de plus de 15 mètres. Vous pouvez alors facilement avoir 1 million de F CFA par parcelle, car le prix d’un grand eucalyptus tourne autour de 20 000 F CFA. C’est ce type d’eucalyptus qui est utilisé en menuiserie et dans les constructions des maisons ».

D’un autre côté, l’eucalyptus est une pharmacie vivante pour ces populations qui se servent de cet arbre pour soigner diverses maladies comme la fièvre, les affections respiratoires et digestives. Il est réputé pour soulager de divers rhumatismes. Ces nombreuses propriétés médicinales sont exploitées au quotidien dans la pharmacopée traditionnelle.

L’eucalyptus est également le bois de chauffage par excellence dans ces régions, et il réduit la pression sur les autres essences. La société Cameroon Tea Estate basée à cheval entre les départements de la Menoua et des Bamboutos,  et  qui produit l’un des meilleurs thés du monde, a planté une ceinture d’eucalyptus autour de ses 1 650 hectares  de champ de thé. C’est cette essence qui alimente les chaudières pour sécher les 1 500 tonnes de thé produits annuellement par cette entreprise.

Enfin, les paysans profitent des fortes colonies d’eucalyptus pour pratiquer l’apiculture, car c’est un arbre dont le nectar est très apprécié des abeilles. Cet arbre trouve son utilité dans plusieurs autres usages par ces populations.

Savoir où planter l’eucalyptus, telle est la question

Au vu des nombreux avantages socio-économiques que cette essence apporte aux ruraux, les positions sur le sujet sont de plus en plus conciliantes.

Pour le Pr Tchawa Paul, enseignant à l’Université de Yaoundé 1 et co-auteur de l’ouvrage “ Gestion de l’espace et effets écologiques de l’eucalypculture en pays Bamiléké (Ouest Cameroun) : stratégie paysanne et prise en compte d’un risque perçu “,  la question ne se pose pas en termes d’être pour ou contre la culture de l’eucalyptus. « Dans un de mes articles en collaboration avec Moïse Tsayem, je montre bien que le problème est plutôt celui de leur localisation. Pour moi, ces arbres ne doivent pas occuper les sols propices à l’agriculture, en particulier dans les contextes de fortes densités. En revanche, leur utilité est incontestable, ils sont peu exigeants en dehors de leur demande en eau, ils sont aussi très prisés pour leur bois. Sur des versants à forte pente, des pentes rocailleuses et sur les sommets ventés, ils se développement normalement sans représenter une source de pression supplémentaire aux activités agricoles. Les paysans ont parfaitement raison de continuer d’intégrer ces arbres dans leur espace. L’eucalyptus a sa place, il faut simplement savoir où l’installer », explique-t-il.

Fomeu Ghislain, environnementaliste basé à Yaoundé va dans le même sens en expliquant : « il faut toujours savoir allier tous les différents aspects, et favoriser ce qui est plus utile aux communautés tout en ne négligeant pas la protection de leur environnement ».

Comme alternative à cette culture dont l’introduction au Cameroun remonte à l’époque coloniale, les ONG et l’Agence Nationale d’Appui de Développement Forestier (Anafor) promeuvent  la plantation du Grevillea robusta communément appelé chêne soyeux d’Australie. C’est un arbre ayant pratiquement les mêmes vertus que l´eucalyptus, et qui a l’avantage d’être moins vorace en eau et de ne pas stériliser les sols. Malheureusement son adoption par les communautés reste encore mitigée.

Entre l’impact environnemental négatif de cette plante et son impact socio-économique positif, trancher la question de l’expansion de l’eucalyptus au Cameroun reste un vrai casse-tête.  Ce qui est sûr c’est que pour très longtemps encore, l’eucalyptus sera une essence forestière très prisée dans la partie occidentale du Cameroun. Cela ne fait aucun doute.

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