A cause de fortes chaleurs, le jonc, feuille servant d’emballage au “bobolo” (baton de manioc), un aliment fait avec la pâte des tubercules fermentés, disparaît des villages. Entraînant la rareté et la hausse du prix de cet aliment très prisé en milieu estudiantin.
Le bâton de manioc est un aliment très consommé dans tout le Cameroun. Comme l’atséké en Côte d’Ivoire, il est l’aliment de base de plusieurs foyers et surtout des élèves et étudiants vivant loin de leur famille. Il n’était cependant pas visible parmi les provisions ces derniers mois.
La raison : « il n’y avait pas les feuilles de jonc, de son nom scientifique, Megaphrinium macrostashum et « Akoué » en langue Ewondo (NDLR) », souffle un étudiant de retour des vacances à Bokito, à deux heures de route de Yaoundé. Il s’en approvisionne au niveau d’un poste de péage, à 30 minutes de Yaoundé. Le bâton de manioc est fabriqué à partir de la pâte écrasée obtenue avec du manioc trempé dans de l’eau pendant trois à cinq jours, selon les cas.
Il était appelé au départ « Atangana bread », entendez le pain d’Atangana, du nom du premier chef supérieur des Ewondo et des Bene, peuples autochtones de Yaoundé et ses environs. Des légendes rapportent que ce chef supérieur avait instruit ses populations de penser à un aliment qui peut se conserver pendant un bon bout de temps afin de gérer les problèmes d’approvisionnement en nourriture pendant les conflits, notamment la première guerre mondiale.
C’est ainsi que le bâton de manioc va faire son apparition. Il se consomme aujourd’hui sur l’ensemble du Cameroun sous un nom plus connu : « le bobolo ». Il peut se manger avec des graines d’arachide grillée, de l’avocat, du haricot, de la banane douce et des toutes les autres sauces. Le poisson fait sur la braise semble bien lui coller à la peau.
Seulement, cet aliment se faire rare. « Les feuilles que nous utilisons pour le bâton de manioc disparaissent progressivement. Tu ne peux plus entrer n’importe comment dans une plantation pour les couper comme on le faisait avant. Ceux qui les ont encore ne le permettent pas; ils les vendent quand ils ne les utilisent pas eux-mêmes », explique Jeannette Egoumé, une quinquagénaire vivant à Bokito. Pour elle, même si le coût des feuilles semble négligeable, acheter ces feuilles est difficile à intégrer dans les habitudes puisqu’il y a environ dix ans, on les avait partout et gratuitement.
« Il nous est souvent arrivé d’envoyer de l’argent à Yaoundé quand on ne trouve pas les feuilles à Bafia. Il faut aussi donner de l’argent de transport à celle qui accepte de faire cette commission», déclare une vendeuse de bâtons de manioc d’un village dépendant de l’arrondissement de Bokito.
Le soleil très rude menace même cette plante de disparition
A cause du manque des feuilles d’emballages, la production de la pâte de farine de manioc est en mal. Or, « La farine de manioc est moins pratique que le bâton. Il faut la cuire en plus, on ne peut pas la manger avec un avocat par exemple ou avec du haricot comme c’est le cas avec le bâton de manioc. Par ailleurs, tout le monde ne sait pas préparer la farine de manioc, même certaines femmes ne s’en sortent pas dans sa cuisson », se lamente un élève du lycée de Bokito qui n’a pas eu de bâtons de manioc au départ de son village.
Deux raisons expliquent cette raréfaction qui tend vers la disparition totale de cette espèce végétale dans plusieurs villages au Cameroun. «Les marécages sont de plus en plus exploités pour des cultures de saison sèche. On défriche souvent les feuilles de joncs aussi. Mais contrairement aux années antérieures, elles ne repoussent plus parce qu’on les dessouche pour les remplacer par des potagers. Et on constate que le soleil très rude menace même de disparition», reconnaît Marie Moudio, une habitante d’un village de l’arrondissement de Bokito. Propos soutenus par des chercheurs qui relèvent que ce sort pourra arriver à plusieurs autres espèces si rien n’est fait.
A Yaoundé, c’est au lieu-dit Atangana Mballa, dans le 4ème arrondissement que se vendent principalement les feuilles de joncs. Elles viennent des zones proches d’Ebolowa dans la région du Sud à deux heures de route de Yaoundé. « Aux environs de Yaoundé, il est difficile de trouver ces feuilles. Or, avant on les avait un peu partout dans les marécages. Avant, on vendait le paquet de 100 feuilles à 50Fcfa (0,1 dollars) mais aujourd’hui, il y a des paquets qui coûtent 500Fcfa (1dollar).
Cette mutation du prix des feuilles de jonc a suscité un engouement pour leur vente. Elles sont parmi les produits les plus demandés aujourd’hui. « Il y a des groupement d’initiatives communautaires qui transforment le manioc en bâton parce que c’est très prisé. Ce n’est plus une simple affaire des familles. Il existe déjà des industries du bâton de manioc. Du coup, les feuilles sont très sollicitées », rapporte Régine Tchoungui, revendeuse.
Le prix de l’emballage se répercute sur celui du bâton de manioc. « Nous ne pouvons plus brader le bâton de manioc comme avant. Il est à présent à 100Fcfa (0,5dollars), d’ici peu il se vendra au double de ce prix », prévient Valentine Amougou, revendeuse de bobolo. Comme ses collègues et d’autres ménagères, elle se demande si l’on ne peut pas développer la culture de cet emballage.
Projet de domestication des feuilles de jonc
Il faut souligner qu’avec l’interdiction des emballages plastiques de 60 microns et moins pour des raisons de préservation de l’environnement, ces feuilles (emballages écologiques) ont été retenues dans la liste des produits de substitution. La mesure d’interdiction de 2012, entrée en vigueur en avril 2014, est survenue alors que les emballages plastiques étaient utilisés même dans la confection des mets traditionnels comme le gâteau de haricot. Au moins 500.000 tonnes de plastique étaient alors produites chaque année.
Aussi un projet de domestication des feuilles de jonc a-t-il été lancé par l’Agence nationale d’appui au développement forestier (Anafor) promotion de forêts, avec l’appui des ministères des Forêts et de l’Environnement. Depuis 2012, des pépinières ont vu le jour avec succès.
Valère Ngoue, coordinateur du parc de bouturage de l’Anafor, situé à Mbalmayo à une heure de route de Yaoundé reconnaît que le taux de reprise de cette espèce localement appelée « Akoué » est très encourageant. «Il s’agit de la production à partir des sauvageons feuillus rééduqués, la production par des sauvageons recépés et la production par les racines.
Nous avons mis sur pied trois essais de production de cette espèce. Dans un premier lot, nous avons porté notre choix sur des jeunes sauvageons feuillus ; sept jours plus tard, un deuxième lot constitué de sauvageons recépés était formé; les rhizomes formaient le troisième lot ; soit un total de 192 pots placés sous ombre, arrosés et périodiquement traités à l’aide d’un fongicide et d’un insecticide. Nous n’avons enregistré à ce jour aucune perte », soutient-il.
Celui-ci avait pourtant annoncé la vulgarisation de l’Akoué dès 2015. « Face à ces résultats prometteurs qui rassurent quant à la pérennisation de cette espèce, nous nous proposons au cours de l’année 2015, d’explorer au parc de bouturage de Mbalmayo, la production du jonc par la méthode générative, afin de permettre aux communautés locales d’exploiter durablement cette ressource forestière qui se raréfie progressivement de nos forêts », annonçait le coordinateur.
Le Chef d’Antenne de « Savane Humide » (ASH) de l’Anafor, projet de régénération des espèces végétale, Christian Hervé Simé, lui, relevait quelques difficultés rencontrées dans la mise en place des projets sylvicoles en général. Entre autres : « le déblocage tardif des fonds et la grande sécheresse et les feux de brousse qui freinent l’évolution des pépinières. » Ceci peut aussi être valable pour le projet Akoué. Son collègue qui a souhaité garder l’anonymat est plus précis : « les résultats scientifiques sur le Megaphrynium macrostachyum sont satisfaisants mais comme pour bien d’autres projets, celui-ci souffre du manque de financement », tranche-t-il.
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