Tandis que les chiffres sur le braconnage augmentent en Afrique, le Cameroun expérimente une nouvelle forme de protection des animaux. Des jeunes se forment à l’élevage dans l’optique de protéger la faune.
Un morceau de papaye dans une main, un couteau dans l’autre, Noel Sena, un jeune de 30 ans enlève les pépins de papaye et dépose les morceaux dans une cage posée au sol. La cage en planche, et qui se ferme par une grille en fils barbelés, contient plusieurs escargots. En fait, Noel Sena est un ancien braconnier devenu éleveur d’escargot. « J’ai eu à chasser le porc épic, le pangolin, les biches, le lièvre. J’ai chassé ces animaux il y a quelques années. Mais je me suis rendu compte que ce sont des animaux protégés. Il y a certains animaux qu’on peut chasser et d’autres qu’on ne peut pas chasser », explique Noel Séna.
C’est en 2012 que Noel Sena décide de changer d’itinéraire. « Il y a beaucoup de risques dans la chasse illégale. On court le risque d’être arrêté, emprisonné ou même d’être attaqué par un animal. En plus, on ne peut pas planifier ses revenus. Tu ne sais pas quand tu auras de l’argent », explique le jeune Séna pour justifier son choix.
En plus de l’élevage des escargots, Noel Sena s’est diversifié. Aujourd’hui, il a un grand cheptel : 800 escargots, mais aussi 512 lapins et 28 porcs. Le jeune éleveur se dit satisfait de cette reconversion qui lui permet de bien gagner sa vie. Il assure que dans son élevage, il gagne plus que celui qui va en forêt, prends des risques pour tuer les animaux protégés. « Je suis très satisfait de mon élevage. Je vends le produit de mon élevage et je suis satisfait. Je vends le kilogramme d’escargots à 1500 Fcfa. Avec cinq à six escargots, j’obtiens un kilogramme. Alors imaginez combien de kilogrammes je peux obtenir avec 800 escargots », dit-il avec un large sourire.
« Normalement, une lapine donne en moyenne 60 petits en un an. Si vous avez environ 10 lapines qui doivent mettre bas, vous multipliez 60 fois 10 lapines. Une lapine est vendue à 10 mille Fcfa. Vous voyez qu’il n’est pas besoin d’aller en forêt pour faire le braconnage, tuer des animaux qui sont en voie de disparition », conclu-t-il.
Reconversion
Le cas de Noel Sena, n’est pas isolé. Au Cameroun, on rencontre de plus en plus de jeunes gens qui se reconvertissent en vue d’avoir une alternative au braconnage. Des centres de formation de jeunes en agriculture et en élevage, crées par des particulier ou des ONG sont d’ailleurs financés à cet effet par le gouvernement camerounais. Des jeunes qui souhaitent se former ou se reconvertir sont sélectionnés sur étude de dossier et bénéficient d’une formation gratuite. Ils reçoivent ensuite une aide pour s’installer. C’est au centre de Kaigama, un village situé à l’est du Cameroun, que Noel Séna a choisi de se former. « En quatre années, nous avons déjà formé au moins 400 jeunes », révèle Sœur Thérèse, la directrice du centre de Kaigama.
De plus, les nombreuses opérations de luttent contre le braconnage ont souvent aussi été à l’origine de multiples arrestations, un motif supplémentaire de reconversion pour d’aucuns. C’est le cas de Célestin Ndongo qui travaille aujourd’hui dans un parc privé près de Mbalmayo, à environ 50 kilomètres de Yaoundé la capitale du Cameroun. Son travail quotidien consiste à prendre soin des animaux qui sont presque tous des espèces protégées et pour la plupart, en voie de disparition. Il veille aussi à ce que des braconniers ne soient pas tentés de venir s’attaquer à ces animaux. Il parcoure ainsi les hectares de forêt qui composent ce parc, à la recherche d’éventuels pièges laissés par les braconniers.
Si Célestin Ndongo sait si bien repérer ces pièges, c’est parce qu’il est lui-même un ancien braconnier. « J’ai tué les animaux pendant de longues années. Dans mon village, nous commençons la chasse dès l’enfance et nous n’avons pas la notion d’animaux protégés. Nous tuons tout ce que nous rencontrons », explique Ndongo.
Il dit avoir arrêté parce qu’il prenait trop de risques pour un « revenu moindre. L’argent que me rapportait un animal ne me suffisait même pas à faire vivre ma famille pour plus d’une semaine. Pourtant ceux à qui nous vendons ces espèces les revendent bien plus cher et se font beaucoup d’argent », justifie-t-il. Il avoue avoir déjà attrapé au moins 10 crocodiles dans divers cours d’eau du Cameroun. Ses pièges ont aussi attrapé plusieurs singes et chimpanzés et blessés des dizaines d’entre eux.
Après plusieurs heures de marche, Célestin Ndongo ne trouve rien d’inquiétant. Mais il assure que parfois, des braconniers sont attrapés. C’est après avoir été arrêté plusieurs fois en possession d’espèces protégées qu’un jour, le jeune homme de 34ans a décidé de changer de camp, surtout que l’opportunité de travailler dans un parc se présentait à lui. Les anciens braconniers ont l’avantage de bien connaitre les animaux ainsi que les techniques utilisées pour nuire aux animaux. Et en matière de techniques, Célestin Ndongo est intarissable. Parfois, un fait qui peut sembler anodin pour les autres attire son attention.
« Lorsqu’on voit un certain type de bout de bois près d’une rivière on peut deviner qu’un braconnier est passé par là », explique Ndongo. Ce bois n’est pas utilisé pour la cuisson mais beaucoup plus par les braconniers pour attraper les crocodiles. Ils s’arrangent à ce que le crocodile morde ce bâton. Le crocodile est assez têtu. Lorsqu’il mord quelque chose, tant qu’il ne l’a pas brisé, il ne le lâche pas. Pendant que le crocodile mord le bout de bois, le braconnier immobilise sa queue et c’est fini, il est pris. Il n’est plus offensif », explique Ndongo. « Lorsqu’un éléphant a les oreilles rabattues, cela signifie qu’il est calme on peut l’approcher. S’il a les oreilles redressées, il faut s’éloigner car il est en position d’attaque », ajoute-t-il.
D’énormes dégâts
D’après le rapport 2014 du secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), plus de 20 000 éléphants ont été tués illégalement en Afrique en 2013. Un nombre que l’organisme international qui régule le commerce international de certains animaux, trouve « alarmant ».
Au Cameroun comme dans tout le bassin du Congo, le braconnage cause d’énormes dégâts, notamment en termes de réduction du nombre d’espèces protégées. En 2012 par exemple, de nombreux éléphants ont été tués dans le parc de Bouba Djida, situé dans la partie septentrionale du Cameroun. Environ 300 dépouilles d’éléphants ont été trouvées dans divers parcs du Cameroun la même année. Ces dépouilles avaient été ôtés de leurs défenses puis abandonnées dans la nature. Plus de « 450 éléphants ont été abattus par des braconniers en 2014 », pour leurs défenses, selon le ministère camerounais des Forêts et de la Faune. Au début de cette année, 2000 défenses d’ivoires et 1753 objets d’art en ivoire ont été incinérés au cours d’une cérémonie publique présidée par le ministre camerounais en charge de la faune.
Un an plus tard, c’est près de 100 autres dépouilles d’éléphants amputées de leurs défenses qui ont été trouvées au Tchad et 30 autres dépouilles en République centrafricaine. Ce massacre d’éléphants a été attribué à des braconniers lourdement armés et venus de divers pays voisins. Ces braconniers ont malheureusement réussi à échapper à la justice.
Au Congo, le braconnage est grandissant et est en passe de devenir un fléau national. Selon les chiffres officiels, le pays a perdu près de 5.000 éléphants entre 2009 et 2011, à cause du braconnage. Les animaux les plus prisés sont les éléphants chassés pour leur ivoire, le chimpanzé, le crocodile ainsi que les serpents. Pour décourager les autres, les braconniers attrapés sont très souvent présentés sur la place publique, devant les médias. Il y a des séances de destruction publique des défenses d’ivoire, parfois présidées par le président de la République en personne. Ce fut par exemple le cas en avril de l’année dernière, lorsque le président Denis Sassou Nguesso a brulé publiquement cinq tonnes d’ivoire saisies entre les mains des trafiquants.
Si la chasse des éléphants est le fait de braconniers lourdement armés et parfois qui agissent en bandes organisées, d’autres espèces protégées sont chassées et tuées par de petits chasseurs qui agissent soit pour la chair soit pour vendre les attributs des animaux tels que leur peau ou leurs écailles par exemple.
A l’approche par exemple des fêtes de Noël et du Nouvel an, la vente de viande dite de brousse, issue du braconnage, grimpe selon les autorités camerounaises. En décembre de l’année dernière par exemple, près d’une centaine de carcasses d’animaux, intégralement protégés et dont la vente est interdite, a été saisie à Douala, la capitale économique et deuxième plus grande ville du Cameroun. Il s’agissait de singes, de tortues, de porcs épics, de pangolins, de crocodiles et de varans, selon Eitel Pandong, représentant du ministère en charge de la faune à Douala.
“Ces animaux, classés espèces protégées au Cameroun, qui ont été saisis dans deux grands marchés de la ville, alors que des commerçants s’apprêtaient à les vendre aux ménagères pour les fêtes de fin d’année, sont naturellement issus du braconnage”, déplore Eitel Pandong, du ministère en charge de la faune à Douala. «La consommation de la viande de brousse est interdite depuis des années au Cameroun. Mais, nous constatons que le secteur de la viande de brousse est toujours régulièrement approvisionné par les activités de braconnage. C’est un fait inquiétant “, explique Pandong, qui ne peut, « toutefois pas fournir, les chiffres exacts concernant le marché lié au braconnage ».
Pandong explique que l’interdiction de la consommation de ces viandes est toujours en vigueur. «Nous continuons la sensibilisation des populations ainsi que les saisies des viandes illégales qui sont ensuite incinérées. Les opérations coup de poing seront intensifiées et les braconniers seront emprisonnés », prévient Pandong.
Mesures prises
Pour faire face au braconnage, les gouvernements adoptent diverses solutions. Au Cameroun, il y a plusieurs lois et décrets qui régissent le secteur de la faune. En plus de ces dispositions juridiques, le Cameroun a mis sur pied en octobre 1999, un Comité national de lutte contre le braconnage. Ce comité a des démembrements locaux au niveau de chaque région du pays. Il a entre autres objectifs, pour rôle de définir et de planifier des actions de sensibilisation du public en matière de conservation de la biodiversité, de planifier des actions de lutte contre le braconnage ou encore de mobiliser les moyens pour la lutte anti-braconnage.
Dans le même ordre d’idée, l’article 101 de la loi camerounaise de 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche stipule que toute personne trouvée en possession d’une espèce protégée est considérée comme « ayant tué ou capturé l’animal ». Cette personne est de ce fait passible d’une peine pouvant aller jusqu’à « 10 ans de prison ». Plusieurs dizaines de trafiquants sont arrêtés chaque année sur la base de ce texte.
Au plan sous régional, les ministres de la CEEAC en charge des relations extérieures, des questions de défense et de sécurité, de l’intégration régionale et de la protection de la faune ont adopté en 2013, un plan dénommé « Plan d’Action de Lutte Anti-braconnage », en abrégé PAULAB. Ce plan a compétence dans trois pays à savoir au Cameroun, au Tchad et en République centrafricaine. Le Paulab « vise à rechercher l’adhésion et l’implication des populations riveraines aux initiatives et actions de protection de ces ressources en mettant en évidence le potentiel des ressources fauniques à contribuer à l’économie locale et nationale ».