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L’étau se resserre autour des banques Néerlandaises ayant des liens financiers avec des agro-industries d’huile de palme en Afrique et en Asie.

Amsterdam Zuid, Octobre 2019. Vêtue d’un blouson velours pour se protéger du froid, la jeune Harriet Sayee Saylee, infirmière dans la communauté Numopoh au Liberia brandit avec détermination un format A4 sur lequel elle a couché à l’encre bleu son message. « Lorsque l’entreprise Golden Veroleum Liberia (GVL) a annoncé qu’elle venait s’installer dans notre communauté pour produire le palmier à huile, tout le monde était content, car il n’y avait pas d’emploi et il nous avait été dit que tout allait changer. En 2014, nous avons signé un Mémorandum d’entente (MoU) avec GVL, mais cela n’a pas été fait en tenant compte notre Consentement libre, éclairé et informé. En plus, des policiers nous intimidaient. Aujourd’hui, cinq ans après, GVL n’a pas respecté ses obligations”, raconte avec amertume la jeune mère de 3 enfants. Debout, devant la direction de la banque Néerlandaise ABN-AMRO, Harriet est la seule femme du groupe de 4 visiteurs inhabituels venus d’Indonésie et du Libéria pour rencontrer les responsables de la banque.

Comme Harriet, les trois autres jeunes leaders présents vivent dans des localités forestières et affirment que leurs communautés souffrent de nombreuses violations des droits humains causées par les agro-industries de palmier à huile. L’histoire de Terry Doegmah Panyonnoh, jeune leader et agriculteur de la communauté Butaw toujours au Liberia illustre bien ces abus. Il a été emprisonné pendant 12 mois avec 16 membres autres de sa communauté pour avoir participé à une manifestation visant à rencontrer le directeur de l’agro-industrie GVL. Sorti de prison il y a quelques mois, le jeune Terry continue le combat pour la renaissance du village Butaw. « Auparavant, notre communauté Butaw était pleine de vie. Maintenant, c’est un village entouré de plantations industrielles de palmier à huile. Plusieurs parcelles de nos terres ont été prises par l’entreprise de palmier à huile Golden Veroleum Liberia (GVL) », déplore Terry.

Déforestation, dégradation des terres des communautés, violences sur des membres des communautés riveraines aux palmeraies des agro-industries, accaparements de terres et emprisonnements des leaders communautaires, de tels faits s’enregistrent tant au Libéria, en Indonésie que dans le Bassin du Congo, où les agro-industries d’huile de palme et d’hévéa gagnent en influence au fil des années. Les rapports entre les communautés et les agro-industries sont très conflictuels d’après Ghislain Fomou, expert en Gouvernance Forestière au Service d’Appui aux Initiatives Locales (SAILD), ONG dont les activités couvrent le Bassin du Congo. « Durant la phase d’attribution de la concession, les conflits sont dû à l’accaparement des terres villageoises par les agro-industries et au non-respect de leurs droits coutumiers et traditionnels. Pendant les phases d’exploitation, il y a un faible respect des engagements sociaux des entreprises agro-industrielles », explique Ghislain.

Earthsight affirme à ce sujet que « les plantations industrielles constituent une menace énorme pour les forêts et les populations du Bassin du Congo ». Dans une étude publiée en 2018 précise, cette organisation rapporte qu’ « entre 2011 et 2017, environ 500 kilomètres carrés de forêt naturelle ont détruites au bulldozer et converties en plantations de palmier à huile et d’hévéa dans le Bassin du Congo. Le développement le plus rapide a été enregistré au Gabon avec « les plantations de palmier à huile et d’hévéa de l’agro-industriel Olam qui auraient engendré la destruction de 35 mille hectares de forêt dense », ajoute Earthsight. La multinationale Olam International Limited a signé un partenariat avec le gouvernement Gabonais pour créer Olam Palm Gabon SA qui détient près de 144 mille hectares de terre pour la production du palmier à huile.

En République Démocratique du Congo et au Cameroun, le groupe Socfin, filiale du groupe Bolloré exploite de vastes plantations de palmier à huile. Des communautés riveraines à Socapalm, branche Camerounaise de Socfin dénoncent de nombreux cas de violations de droits dont des agents de l’agro-industrie seraient des auteurs. Même si ces agro-industries semblent détenir un grand pouvoir face aux communautés, elles dépendent de gros investissements financiers pour mener à bien leurs activités. C’est ce qui motive les jeunes leaders d’Indonésie et du Libéria à présenter leurs plaintes aux responsables des Banques Néerlandaises.

Secteur attractif

Selon des experts, « l’agro-industrie de palmier à huile est rentable, mais le coût financier initial pour démarrer la plantation est très élevé, ce qui oblige les compagnies à faire recours aux financements externes », en l’occurrence les banques. « De grands noms du secteur financier mondial, dont Barclays, des banques Néerlandaise, HSBC, Standander et Standard Chartered entre autres, auraient déboursé des dizaines de milliards de dollars entre 2013 et 2019 dans le financement des compagnies agro-industrielles qui directement ou indirectement contribuent à la destruction des principales forêts tropicales », révèle un rapport de l’ONG Global Witness publié en Septembre 2019. Global Witness y montre l’existence de liens financiers entre de banques internationales et six principales agro-industries, dont deux en activité dans le Bassin du Congo.

Des données financières montrent qu’au sein de l’Union Européenne, les banques Néerlandaises jouent un grand rôle dans le financement des agro-industries. En 2016, FERN classait trois banques Néerlandaises à savoir ABN AMRO, ING et Rabobank dans le top 10 des banques Européennes ayant fait des prêts bancaires aux agro-industries d’huile de palme entre 2010 et 2015. En Juillet 2018, ces trois banques Néerlandaises sont épinglées dans un rapport de Milieu Defensie « En ces 8 dernières années, l’argent venant de ABN AMRO, ING et Rabobank a directement été utilisée pour financer des compagnies de palmier à huile qui oppriment les communautés locales et détruisent des forêts précieuses », révèle l’étude Draw the Line.

Sur la même lancée, le Centre de recherche SOMO publie un rapport en Octobre 2018 dans lequel il examine des liens financiers entre les trois banques Néerlandaises et 81 compagnies d’huile de palme, à travers des fonds d’investissements que les dites banques proposent à leurs clients. SOMO souligne que les fonds d’investissements d’ABN AMRO, incluant des parts des compagnies d’agro-industrie d’huile de palme représentent « 10% du montant total des fonds d’investissement que ladite banque offre publiquement ». Sur les 81 compagnies d’huile de palme sélectionnées, SOMO ajoute « qu’au moins 23 figurent dans les services d’investissement d’ABN-AMRO, parmi lesquelles des compagnies ayant des records de mauvaise conduite».

La banque ING quant à elle « offre 85 fonds d’investissement qui incluent des parts des compagnies de palmier à huile objets de l’étude » De plus, « au moins 21 des 81 compagnies de palmier à huile se retrouvent dans les services d’investissement d’ING, au rang desquelles des compagnies ayant des record de mauvaise conduite », précise le rapport de SOMO.

Pour ce qui est de Rabobank, elle « offre 61 fonds d’investissements ayant des parts avec des compagnies de palmier à huile. Au moins 22 des 81 compagnies de palmier à huile ont été identifiées dans des fonds offerts par Rabobank, au rang desquelles des compagnies ayant des records de mauvaise conduite ».

Des partenaires desdites banques opèrent dans le secteur de l’huile de palme dans plusieurs pays tropicaux. Et le Bassin du Congo n’est pas épargné. Selon le rapport Draw the Line, Olam International Limited qui détient des plantations au Gabon a des liens financiers aussi bien avec ABN-AMRO, Rabobank qu’ING. Le même document montre m’existence de liens financiers entre Socfin et les banques ABN-AMRO et ING. Le rapport de Global Witness montre que des parts de la multinationale Bolloré S.A figurent dans 2 des 56 fonds d’investissements incluant des parts des compagnies agro-industrielles d’huile de palme qu’offre la banque ABN AMRO.Citation de la banque Néerlandaise ING au sujet des principes d'une banque responsable.

Toutes ces trois banques sont pourtant membres de la Table Ronde sur l’Huile de Palme Durable (RSPO). Pour Global Witness « Il y a un seul problème: les mêmes institutions financières, très souvent violent leurs règles ». Un tour sur leurs sites internet permet effectivement de constater que chacune des trois banques a mis sur pied de durabilité excluant le financement des entreprises qui contribuent à la déforestation ou à la violation des droits humains. Nos tentatives de rencontrer des responsables de la banque ING n’ont pas eu de suite favorable. Seuls des responsables d’ABN AMRO et Rabobank ont accepté de s’exprimer sur la question.

Financement à problème

Au sein de la banque ABN AMRO, des responsables du département « Durabilité Bancaire » ventent la politique de financement de leur banque « Pas de déforestation, pas de violation de droits humains ». Ils précisent qu’ABN AMRO ne finance aucune activité dans le secteur de l’huile de palme dans le Bassin du Congo. S’agissant des fonds d’investissements qu’offre la banque, ils affirment que des abus peuvent être enregistrés sur le terrain, mais la chaîne de responsabilité serait assez complexe à tracer. « La réalité est bien sûre que soit certaines multinationales, soit leurs filiales, soit des branches de leurs filiales commettent des abus dans des plantations de palmier à huile. C’est la réalité. Dès que nous sommes informés sur ce type de situation, nous interpellons nos clients afin qu’ils prennent leurs responsabilité pour assainir leurs chaînes de valeur. La procédure peut prendre du temps, mais nous travaillons », déclare Ariën Bikker.

L’avis est presque similaire du côté de Rabobank. « Rabobank ne souhaite pas être associée à des questions de déforestation et de violations des droits humains. Nous sommes très sélectifs et nous faisons des efforts pour nous rassurer que nous travaillons avec des entreprises qui remplissent nos critères de durabilité », déclare Johan Verburg, un des responsables du département Durabilité. Pour soutenir cet argument, son collègue Martin Van Vaals évoque la politique de financement durable de l’institution financière disponible en ligne. En plus, « au Cameroun, au Libéria ou au Gabon, Rabobank n’a pas de liens financiers directs avec de telles agro-industries d’huile de palme. Il nous est difficile de faire un monitoring sur le terrain pour savoir si quelque chose ne va pas», martèle Johan Verburg.

Ces arguments ne réussissent pas à faire changer d’avis aux membres de la société civile. « Quel que soit le niveau d’implication dans leurs rapports avec des agro-industries d’huile de palme responsables d’abus, les banques ont une responsabilité dans cette situation », précise Myriam Vreman, chargée du suivi des politiques des agro-industries et du secteur financier à l’ONG Milieu Defensie. Lammert van Raan, parlementaire Hollandais va plus loin dans la responsabilité des banques. « Des banques sont des armes de destruction massive des forêts. Ce n’est pas qu’elles ont intentionnellement voulu l’être. Elles le sont devenues à cause de l’impact de leurs financements sur les forêts. Ce sont des faits que nous observons actuellement » explique Lammert van Raan.

Le responsable Durabilité d’ABN AMRO reste convaincue que les banques peuvent apporter leur contribution pour assainir le secteur des agro-industries d’huile de palme. « Si nous souhaitons apporter une contribution, nous devons faire face au dilemme. C’est vrai que ce n’est pas facile. Mais si tu restes en dehors, tu perds ton influence », affirme Ariën Bikker. Stopper l’investissement dans le palmier à huile est une hypothèse difficile à envisager pour certains hommes politiques Néerlandais. C’est le cas de Paul Tang pour qui il faut opérer une transition progressive. « Il ne s’agit pas d’un arrêt total des investissements dans les agro-industries d’huile de palme. Nous devons aller vers la fiance durable qui mettrait les hommes et la planète au cœur des investissements financiers », suggère Paul Tang.

D’après le parlementaire Lammert van Raan, ces banques font des promesses mais ne les respectent pas. En plus, elles ne sont pas inquiétées suite au non-respect de leurs engagements. Des promesses non tenues, Emmanuel Elong en sait quelque chose et attend aujourd’hui des résolutions plus fermes de la part des banques. En tant que Président de la plateforme Synaparcam regroupant des populations riveraines aux plantations de palmier à huile de Socapalm au Cameroun, Emmanuel a fait plusieurs voyages à l’étranger pour revendiquer les droits de ses frères et sœurs. « Les communautés riveraines des agro-industries souhaitent que les banques qui soutiennent les activités de ces entreprises exigent de celles-ci une collaboration directe avec les organisations qui représentent les communautés », déclare Emmanuel.

La société civile de la région plaide pour un plus grand soutien des communautés. « Ces banques doivent veiller à la régularité de l’acquisition des concessions agroindustrielles. Elles doivent cesser de financer les agro-industries qui causent de nouvelles déforestations en imposant aux entreprises de s’inscrire dans les démarches zéro déforestation. Elles doivent imposer aux entreprises de s’engager dans une politique d’appui aux petits producteurs locaux », exige Ghislain Fomou, expert Gouvernance Forestière dans le Bassin du Congo. Au-delà des engagements, la régulation du secteur financier s’impose.

Régulation et transparence

Après des années de plaidoyer, des leaders de la société civile Européenne pensent que ces banques ont montré leur incapacité à apporter des solutions à ces problèmes de l’agro-industrie de l’huile de palme. « Nous ne pouvons plus faire confiance aux banques. Pour le moment, les actions du gouvernement sont encore très faibles en matière de régulation du financement de ce secteur. Mais, c’est au gouvernement et aux populations de fixer la réglementation financière applicable dans ce secteur. Le gouvernement doit réguler le secteur et interdire tout investissement qui cause la déforestation, des abus sur les droits humains ou des impacts négatifs sur le climat », propose Kees Kodde, chargé de campagne Climat et énergie à Greenpeace – Amsterdam.

Florence Kroff a longtemps travaillé avec des communautés victimes des abus des agro-industries d’huile de palme. Chargée de recherche et de plaidoyer au sein de l’ONG FIAN Belgique, elle plaide aussi pour la régulation du secteur financier des agro-industries d’huile de palme, mais surtout pour plus de transparence. « Nous réclamons une régulation du secteur financier. Que ce genre d’investissement soit interdit et qu’il y ait beaucoup plus de transparence surtout quant à l’information qu’on peut obtenir là-dessus pour pouvoir y mettre un terme et réguler comme il se doit ce secteur ». Bas Eickhout, Membre du Parlement Européen(MEP) et Vice-Présidents du groupe « Les Verts », milite aussi pour une plus grande transparence des banques Européennes. « Nous avons besoin de plus de transparence, car les banques mettent beaucoup de clauses de confidentialités dans les contrats avec leurs clients. Cette transparence peut nous permettre d’obtenir plus d’informations les financements ou les fonds d’investissements qu’offrent les banques et ouvrir un débat franc sur la question », argue le parlementaire.

Dans un article publié par World Resources Institute, Micheal Wolosin et Nancy affirment que « les forêts sont capables de fournir 23% des solutions efficaces pour l’atténuation du changement climatique avant 2030 », d’où la nécessité de les préserver. Le secteur bancaire est interpellé d’autant plus que « les principaux moteurs indirects de la déforestation se trouvent sur les marchés mondiaux des produits de base et des marchés financiers », soulignent World Resources Institute et Climate Advisers. Ces organisations préconisent la transparence sur toute la chaine de valeur des investissements comme levier d’actions pour réduire la déforestation. La transparence, la redevabilité et la lutte contre le Changement climatique font partie des Principes des Nations Unies pour une Banque Responsable dont ABN AMRO, ING et Rabobank sont signataires. A travers ces Principes, les 132 banques signataires s’engagent à mettre en œuvre des stratégies qui contribuent aux droits humains, aux Objectifs du Développement Durable (ODD) et à l’Accord de Paris sur la Changement Climatique.

 

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