Quelles conséquences pour des nouvelles concessions forestières en RDC?

Le gouvernement de la RDC a l’intention de rouvrir sa forêt aux nouvelles exploitations forestières, c’est ce que revèle un communiqué de presse d’un consortium des organisations non-gouvernementales nationales et internationales publié le 2 mars. Le 30 janvier, le ministre congolais de l’Environnement et Développement Durable de la RDC, Robert Bopolo, a révélé, lors d’un […]

Le gouvernement de la RDC a l’intention de rouvrir sa forêt aux nouvelles exploitations forestières, c’est ce que revèle un communiqué de presse d’un consortium des organisations non-gouvernementales nationales et internationales publié le 2 mars.

Le 30 janvier, le ministre congolais de l’Environnement et Développement Durable de la RDC, Robert Bopolo, a révélé, lors d’un discours officiel, qu’une procédure était en cours pour lever  le moratoire sur l’octroi de nouvelles concessions forestières acquis en 2002 par un arrêté ministériel.

Un consortium des ONGs redoute, à travers la levée de ce moratoire, de graves conséquences sur la forêt et sa biodiversité, les communautés dépendantes de la forêt pour leur besoin de subsistance, ainsi que la décadence de la forêt équatoriale qui est l’un des poumons de la planète ainsi qu’un des grands axes stratégiques dans la lutte contre la hausse des températures mondiales.

download (1)Cette décision de relancer la procédure pour l’octroi de nouvelles concessions forestières tombent au moment certains bailleurs de fonds tels que la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et l’Union Européenne évaluent la possibilité de soutenir un plan d’environs 1 milliard de dollars proposé par le pays pour préserver 1.55 millions de kilomètres de forêt.

Lire ci-dessous le moratoire en entier:

BRIEFING le 2 Mars 2016

 Briefing de la Société civile sur les dangers d’une levée du moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions forestières en RDC

 Le 30 janvier dernier, Robert Bopolo Mbongeza, Ministre de l’Environnement, Conservation de la Nature et Développement Durable de la RDC, a affirmé que des «démarches sont en cours » pour lever le moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions forestières en vigueur depuis 2002.

Des organisations non gouvernementales nationales et internationales estiment que la levée du moratoire entraînerait un raz-de-marée de dégâts environnementaux, d’abus sociaux et de corruption au sein de la deuxième plus vaste forêt tropicale du monde, et qu’elle pourrait ruiner les efforts entrepris pour préserver les forêts de la RDC dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Pourquoi un moratoire ?

La RDC a décrété un moratoire sur l’exploitation forestière par arrêté ministériel en mai 2002. Son objectif était de mettre en veille un mode d’exploitation forestière qui menaçait d’entraîner, au lendemain de la guerre, le pillage généralisé et la destruction des immenses forêts du pays. Avec le soutien technique et financier de la Banque mondiale, le pays devait prendre le chemin d’une industrie forestière durable, générant des milliards de dollars de revenus et des dizaines de milliers d’emplois, tout en préservant, en principe, la forêt. Le moratoire a été aussitôt violé, une série de permis forestiers étaient attribués en toute illégalité.4 Un décret présidentiel renforçant le texte initial a toutefois été adopté en 2005, et une « revue légale » de tous les titres émis a été entreprise. Malheureusement, 15 titres illégaux annulés en 2009 ont été « repêchés » par le ministère en 2011. En fin de compte, la « revue légale » n’a conduit qu’à l’annulation de titres dormants, confortant le statu quo existant.

En septembre 2014, les concessions forestières en RDC portaient sur environ 10,7 millions d’hectares.

Comme illustré plus bas, l’expérience de l’exploitation forestière à l’échelle industrielle démontre clairement que son extension, plutôt que sa réduction, s’accompagnerait de nombreux problèmes très sérieux, sans offrir d’avantages durables à la RDC.

L’avis de la Banque mondiale

La Banque mondiale affirme que : « Du point de vue de la Banque mondiale, le moratoire devrait être maintenu jusqu’à : l’achèvement d’un processus participatif de zonage des régions pouvant faire l’objet de concessions, l’application d’un système transparent et compétitif de sélection des futurs concessionnaires ; la mise en place des capacités institutionnelles de réglementation, de suivi et de contrôle des opérations forestières commerciales et l’établissement d’un plan évolutif sur trois ans indiquant précisément le nombre de régions, les zones et les sites pour lesquels des concessions seront progressivement attribuées. »

Aucune de ces exigences n’a été satisfaite à ce jour.

Même si des méthodes ont été élaborées pour certains aspects du zonage forestier national, aucun zonage participatif n’a été mis en oeuvre nulle part en RDC.

Bien qu’un décret régissant l’attribution des concessions par adjudication ait été adopté en 2008, aucun « système » n’a été mis en place pour procéder à des appels d’offres transparents et compétitifs.

Les capacités « de réglementation, de suivi et de contrôle » de l’exploitation forestière en RDC ne sont guère meilleures qu’en 2002. Selon un rapport de la Banque mondiale daté de décembre 2015, un projet du GEF d’une valeur de 64 millions de dollars sur six ans, dont l’un des objectifs était le renforcement du ministère de l’Environnement, a produit des résultats que la Banque ne peut qualifier que de « modestes ». La plupart des indicateurs de succès de cette partie du projet ont été abandonnés pour une raison ou pour une autre, ou n’étaient pas concluants.

La Société civile congolaise n’est au courant d’aucun plan évolutif sur trois ans pour les nouvelles attributions de concessions. Il semble qu’aucune consultation publique, et encore moins de zonage participatif, n’ait été entreprise dans les zones que le ministère avait, en août 2014, annoncées comme susceptibles d’être ouvertes à l’exploitation forestière dans le « court terme (12 mois) » ou le « moyen terme (48 mois). »

L’exploitation forestière est toujours hors de contrôle et échoue à apporter des bénéfices à l’échelle nationale

Malgré 14 années de prétendues réformes du secteur forestier et des dizaines de millions de dollars d’aide financière, l’exploitation forestière industrielle n’est toujours pas sous contrôle en RDC, alimentant la corruption et l’accaparement des ressources par les élites, et entravant le développement du pays.

Bien que le décret présidentiel de 2005 prévoie la radiation « automatique » des exploitants ne disposant pas, dans un délai de quatre ans après l’attribution du contrat, d’un plan d’aménagement sur 25 ans approuvé par le ministre, nous n’avons connaissance que d’une seule concession, extrêmement controversée, qui en a un approuvé,12 bien que la plupart des contrats datent de 2011. La violence et l’intimidation sont restées monnaie courante durant toute la période de « réforme » du secteur, surtout envers les villageois cherchant à obtenir l’application des cahiers des charges.

De plus, des preuves scientifiques s’accumulent pour démontrer que les concessions sous gestion prétendument durable conduisent à des taux plus élevés de déforestation, même lorsque ces opérations disposent de plans d’aménagement dûment approuvés.

Au mieux, l’exploitation forestière industrielle a généré de maigres retours fiscaux. Dans une note de 2002, la Banque mondiale avait prévu que la taxe de superficie devait, à elle seule, rapporter entre 60 et 360 millions de dollars par an.15 En réalité, les recettes se sont établies entre 14 et 21 % de l’estimation la plus basse de la Banque mondiale.

Ainsi, selon une étude de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives, les gouvernements nationaux et provinciaux de la RDC ont reçu 12 896 258 dollars du secteur forestier en 2013. En 2014, dernière année complète pour laquelle les données sont disponibles, ce montant avait chuté d’un tiers, pour s’établir à 8 349 439 dollars.16 Le chiffre de 2014 correspond à environ 12 cents par an pour chaque Congolais.

L’Afrormosia (Pericopsis elata), l’une des essences les plus prisées du Congo, figure dans l’Annexe II de la Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES), mais les permis requis pour son exportation font l’objet de problèmes administratifs incessants.17 Même le secrétariat de la CITES semble ne plus vouloir laisser passer le dysfonctionnement du ministère de l’Environnement de la RDC. En avril 2014, il a annoncé avoir appris l’existence d’« un grand nombre de faux permis ou de permis falsifiés, apparemment émis par la République Démocratique du Congo, qui sont apparus au grand jour depuis plusieurs mois. » À la suite d’une visite à Kinshasa en novembre 2015, le Secrétariat s’est plaint qu’il était « difficile, sinon impossible, de réguler correctement […] ce commerce, lorsque les permis sont sans cesse annulés et remplacés, comme le fait l’organe de gestion de la CITES en RDC. »19 Et « il semble que les permis CITES […] soient considérés plus comme un “droit”, une “licence d’exportation”, un “titre négociable”, que comme un document autorisant l’exportation de spécimens d’espèces inscrites aux annexes de la CITES […]. Cela peut laisser croire qu’un permis CITES est comme de l’“or” pour les utilisateurs […]. »

Un défi pour les plans REDD de la RDC et pour le FLEGT, et une entrave à l’adoption plus large de la foresterie communautaire

La déclaration du ministre arrive au moment où le gouvernement de la RDC espère bénéficier d’au moins deux initiatives internationales majeures qui lui apporteraient des fonds pour la protection des forêts du pays. La première d’entre elles consiste en un projet de 436 millions de dollars soutenu par le Fonds carbone de la Banque mondiale destiné à créer des crédits de carbone en réduisant la déforestation dans la future province de Mai Ndombe, d’une superficie de 13 millions d’hectares. Elle pourrait être sérieusement compromise si le moratoire était levé et si de nouvelles concessions étaient attribuées dans la région. 11 concessions forestières y sont déjà attribuées (dont le projet de document fait remarquer qu’aucune ne dispose du plan de gestion légal requis). De plus, comme cette région est relativement proche de Kinshasa, il est très probable qu’elle soit la cible de nouvelles demandes de concessions de la part d’entreprises forestières. La seconde initiative, le Plan d’investissement national REDD+ de la RDC, laisse entrevoir des investissements étrangers à concurrence d’un milliard de dollars pour protéger les forêts de la RDC, et devrait, elle aussi, être substantiellement remise en question si l’expansion des concessions industrielles se concrétisait.

Comme on l’a vu plus haut, la non-conformité généralisée par rapport aux exigences de base de la gestion forestière (comme la nécessité de disposer d’un plan d’aménagement sur 25 ans) rendra la levée du moratoire particulièrement problématique pour la conclusion future d’un Accord de partenariat volontaire dans le cadre du programme UE-FLEGT. Vu l’ampleur apparente des illégalités dans le secteur forestier en RDC, il est probable que de nombreux opérateurs sur le marché du bois perdront leur accès aux marchés européens.

Enfin, l’explosion de l’exploitation forestière à grande échelle pourrait porter gravement atteinte à l’approche plus progressiste de la RDC vis-à-vis du développement de la foresterie communautaire. Les ONG ont salué la finalisation, ce mois-ci, de la législation sur la foresterie communautaire. Toutefois, selon cette législation, les futures forêts communautaires ne pourront être développées que dans des zones qui ne sont pas déjà réservées à d’autres fins. Dès lors, l’expansion des concessions forestières industrielles pourrait priver de nombreuses communautés forestières de la possibilité de bénéficier directement de la gestion et du contrôle locaux des forêts qu’elles occupent de longue date.

Conclusions

  • L’expansion de l’exploitation forestière industrielle exacerberait fortement les problèmes sociaux et environnementaux causés par l’exploitation forestière industrielle.
  • Le gouvernement de la RDC n’a clairement pas la capacité de gouverner le secteur forestier.
  • La foresterie industrielle reste un vecteur de corruption et de violence, et contribue extrêmement peu au budget de l’État.
  • Aucune des exigences de la Banque mondiale préalables à la levée du moratoire n’est satisfaite à ce jour.
  • La levée du moratoire causerait un tort considérable à la crédibilité des efforts REDD en RDC.

Afin de résoudre les problèmes du passé, le gouvernement de la RDC devrait au contraire se concentrer sur la réduction de la taille de l’industrie forestière, en intensifiant la mise en application des lois et en soutenant des approches de la gestion forestière différentes, favorables aux pauvres et respectueuses du climat. Les efforts collectifs doivent être orientés vers des réformes indispensables, comme le zonage participatif et la mise en oeuvre de la nouvelle Loi sur la Foresterie Communautaire qui a été saluée tant par les donateurs internationaux que par la société civile. À défaut d’une telle approche, les efforts de la RDC pour devenir un pionnier des projets REDD sont très probablement voués à l’échec.

Signé,

– Global Witness, Alexandra Pardal, Campaign Leader / Directrice de campagne

– Greenpeace, Victorine Che Thoener, International Project Leader Congo Basin

– Rainforest Foundation UK, Simon Counsell, Executive Director

– Rainforest Foundation Norway, Lars Løvold, Director, Rainforest Foundation Norway

– EIA, Kate Horner, Director of Forest Campaigns

– RRN (Réseau Ressources Naturelles), Joseph Bobia, National Coordinator

– CAGDFT (Centre for Support of Sustainable Management of Tropical Forests), Carmel Kifukieto, Program Coordinator

– FERN, Indra van Gisbergen, Forest Governance Campaigner

– OCEAN (Organisation Concertée des Écologistes et Amis de la Nature), Kass Muteba, Head of Program

– CODELT (Council for the Defense of the Environment through Legality and Traceability), Augustin , Executive Director

– LICOCO (Ligue Congolaise de lutte contre la Corruption), contact national de Transparency International, Ernest Mpararo, Secrétaire Exécutif / Executive Secretary

– FPP (Forest Peoples Programme), Tom Griffiths, Responsible Finance Programme Coordinator

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